Perte d’audition – une vraie frustration

La frustration de la perte d'audition

Il y a des jours où je n’y arrive plus.

Il y a des jours où c’est juste insupportable.

Il y a des jours où ça me donne envie de hurler.

Si je viens de passer deux heures en compagnie d’amis, et que j’ai l’impression d’avoir compris moins de la moitié des conversations, par exemple. Ou si je sors du cinéma ou du théâtre et que je n’ai pas réussi à suivre l’intrigue du film ou spectacle que je viens de voir. Ou si mes acouphènes dans l’oreille gauche me donnent envie de me taper la tête contre les murs (ce qui n’aide absolument pas, d’ailleurs). Ou simplement les jours où je me sens si fatiguée à la fin (ou même au milieu) de la journée que j’ai envie de pleurer.

La frustration de ne pas entendre assez bien, de ne pas parvenir à suivre, et l’épuisement que mes efforts d’attention entraînent, tout cela crée une sorte de trop-plein qui vient à bout de toute ma patience, ma détermination et ma bienveillance envers moi-même.

Je n’en peux plus à ces moments-là.

Mes émotions jouent au yoyo, et je me sens victime de ces gènes tous pourris qui détruisent les cellules ciliaires de mon oreille interne. Pourquoi moi ? Je n’ai rien demandé, après tout !

Et puis je me sens triste. Triste de ne plus être capable d’entendre ce que j’entendais avant sans aucun problème. Triste de ne pas reconnaître mes chansons ou morceaux de musique préférés. Triste de ne plus pouvoir téléphoner à mes amis à l’étranger.

Alors je m’énerve. Pourquoi est-ce que tout le monde parle en marmonnant, sans me regarder et sans faire d’effort ? Pourquoi est-ce que je dois constamment rappeler aux autres que je n’entends pas bien ?

Et ça repart en boucle, et mon visage s’allonge, mon regard s’assombrit, et mon entourage se rend compte que ce n’est pas le moment de faire des blagues, ni même de me parler tout court.

Des périodes de frustration

Je traverse une de ces périodes en ce moment.

Je ne sais pas si c’est que j’accorde plus d’attention à tous les moments où je décroche, et à toutes les conversations que je ne parviens pas à suivre, mais j’ai l’impression que c’est pire qu’avant. Je me sens comme un navire en perdition dans la houle des mots incompris.

C’est effrayant.

Alors je trouve des outils, des petites choses, qui m’aident à me sentir mieux, et à sortir du trou de victimisation dans lequel je m’embourbe si je n’y prends pas garde.

Bien sûr, c’est à chaque personne de trouver des outils qui lui conviennent. J’ai trouvé un article (en anglais) de Shari Eberts qui détaille les moyens qu’elle a trouvé pour gérer la frustration qui semble inévitablement découler d’une perte d’audition. Ceux que j’ai trouvés sont finalement très similaires !

Des outils pour en sortir

  • Faire des pauses

Je remarque que les moments où je me sens le plus mal sont les moments où je viens d’avoir à me concentrer très fort pour essayer de suivre une conversation, une conférence, une réunion. J’ai dépensé beaucoup d’énergie pour peu de résultats, finalement, et je suis non seulement frustrée, je suis aussi épuisée. Le fait de prendre quelques instants pour être seule, lire quelque chose, faire une sieste ou prendre une douche bien chaude me permettent de passer par-dessus le moment le plus douloureux de l’émotion que je traverse.

  • Prendre le temps de s’occuper de soi

Il s’agit là plus d’une hygiène de vie que d’un outil à utiliser dans l’urgence.

Si je prends le temps de me sentir bien avec moi-même, de faire de l’exercice, de méditer, de dormir assez et de faire les choses qui sont importantes pour moi, j’ai beaucoup moins les nerfs à vif, et j’arrive à mieux vivre ma perte auditive en général. Et je parviendrai ainsi à sortir plus vite des émotions difficiles qui peuvent me submerger.

Dans les périodes de frustration, c’est donc d’autant plus important que je prenne soin de moi.

  • Se concentrer sur ce qui va bien

Alors ça, ce n’est pas évident à faire quand on est en plein milieu de l’émotion. C’est même presque impossible.

Une fois qu’on a passé le plus difficile et qu’on recommence à voir la lumière au bout du tunnel, par contre, c’est une bonne habitude à prendre. J’ai tendance à naturellement me concentrer sur ce qui est positif dans ma vie. Mes amis, mon travail, mon blog, mes divers projets d’écriture, la nature, mon chat, ma famille, et toutes les conversations et activités intéressantes que je parviens à suivre.

Parce que c’est mon habitude, j’ai la chance d’y revenir assez vite, même après avoir eu l’impression que ma perte auditive, c’était assurément la fin du monde.

  • En parler

Cela m’aide beaucoup de pouvoir en parler. D’une part, ce blog est déjà un outil qui m’aide à sortir de ces émotions, puisqu’il me permet de partager ce que je vis et d’avoir des retours d’autres personnes qui vivent des situations similaires, ou qui comprennent ce que je traverse. Ce sentiment de communauté est essentiel, et me permet de mieux vivre la frustration.

D’autre part, c’est très utile d’avoir un accompagnement psychologique, un groupe de parole, un forum de malentendants, ou même un cercle d’amis qui peuvent comprendre et nous apporter l’empathie dont nous avons besoin dans les moments les plus difficiles. La bienveillance de mes proches est très apaisante dans ces moments-là, et elle m’aide à renverser la vapeur et à retrouver une certaine bienveillance envers moi-même.

 

Et vous, quels outils avez-vous trouvés pour sortir des émotions difficiles liées à la perte auditive (ou à d’autres situations difficiles) ? Comment gérez-vous ces situations de frustration ?

De l’importance des sous-titres

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Je me rappelle avec émotion de l’époque où je pouvais suivre un programme à la télévision, et même à la radio, sans aucun problème. Les pièces radiophoniques de France Inter, que j’écoutais avec ma mère pendant qu’elle cousait. Et les programmes, films et séries en allemand, puis en anglais, quand j’habitais à l’étranger. Aucun souci ! Je n’avais pas besoin de regarder l’écran pour pouvoir suivre, et même les spectacles des humoristes étaient accessibles, y compris ceux qui parlent super vite (et même en anglais/allemand ! Ah là là. Soupir).

Et puis, petit à petit, j’ai eu plus de mal. J’ai arrêté d’écouter la radio. J’ai mis la télévision plus fort, et j’ai commencé à lire sur les lèvres des acteurs et des présentateurs. Et puis il est arrivé un moment où j’utilisais tellement la lecture labiale que je n’arrivais plus à regarder un film doublé. Parce que je lisais un texte en anglais sur les lèvres, et j’entendais (mal) un texte en français et mon cerveau était perdu entre les deux.

J’ai commencé à mettre les sous-titres. C’est arrivé, fort heureusement, à la même période que celle où les sous-titres se sont généralisés sur les chaînes de télévision, avec les box et la TNT. Et les sous-titres, ça me sauve la vie !!

Ca me permet de suivre là où mes oreilles ne suivent plus. Mes yeux prennent le relais, et m’assurent une compréhension quasi totale de ce qui se produit.

Pour peu, bien sûr, qu’il y en ait, des sous-titres. Et que ceux qui sont présents soient corrects, un minimum bien orthographiés, et synchronisés avec la vidéo.

Parce que voilà, il n’y a rien de pire que de consulter le programme TV, de trouver un bon film sur une chaîne hors France Télévision, TF1 ou M6, de préparer le pop-corn et de s’installer à l’heure dite, pour découvrir que le film n’est pas sous-titré. Car s’il n’est pas sous-titré, eh bien tant pis, je passe à autre chose ! Parce que ça me demandera trop d’efforts d’essayer de suivre, tout en demandant à mon entourage à intervalles réguliers : « qu’est-ce qu’il a dit ? », « qu’est-ce qui s’est passé ? », ce qui court sur le nombril de tout le monde (moi y compris) assez rapidement.

J’ai appris récemment, grâce à l’excellent article d’Emmanuelle de Mon Accessibilité Sourde, que la loi prévoit que seules « les chaînes dont l’audience moyenne annuelle est supérieure à 2,5% de l’audience totale des services de télévision rendent accessible la totalité de leurs programmes ». Cela signifie que si on veut regarder quelque chose sur NT1, Arte ou autre, eh bien on a de grandes chances (entre 40 et 80% de chances) de tomber sur un programme non sous-titré.

Or, qui dit programme non sous-titré dit : je zappe.

Et c’est vraiment dommage quand je me faisais une joie de regarder un programme, un documentaire ou un film d’art et d’essai sur Arte par exemple. Et puis, ça m’énerve (surtout quand c’est sur Arte ! COMMENT ?! La culture ne m’est pas accessible !? AAAARGH !!). En général je grommelle puissamment, tout en changeant de chaîne. C’est vrai que tous les programmes devraient être disponibles en audiodescription ET avec les sous-titres !

Mais même quand il y a les sous-titres, cela peut être difficile. Par exemple, quand un programme ou film contient vraiment beaucoup de paroles. Le temps de lire les sous-titres, et on n’a pas eu le temps de voir l’image, et du coup on n’a pas une compréhension totale de ce qui se produit. J’ai la chance de lire vite, et du coup cela m’arrive très rarement de ne pas parvenir à suivre l’histoire parce que la lecture des sous-titres est trop prenante, mais cela peut arriver ! Il arrive aussi que les sous-titres soient mal programmés, et qu’ils disparaissent avant qu’on ait eu le temps de les lire.

Et puis, il y a les fois où les sous-titres, pour une raison ou pour une autre, cachent la moitié de l’image. Charmant !

Après, il y a aussi les émissions en direct, qui sont donc forcément sous-titrées en direct. Outre l’orthographe (voire la grammaire) quelquefois fantaisiste (on les comprend, le métier de sous-titreur en direct ne doit pas être évident), le manque de synchronisation est souvent gênant. C’est difficile de suivre un reportage si les sous-titres ne correspondent absolument pas à l’image. J’ai donc tendance à éviter au maximum les programmes en direct. Si vraiment j’ai envie d’en suivre un, j’enlève les sous-titres et je mets mon casque télé, qui me permet encore de suivre plus ou moins, même si c’est beaucoup plus fatigant qu’avec les sous-titres (et que j’en loupe certainement la moitié).

Dans la grande majorité des cas, tout de même, les sous-titres me rendent un contenu accessible, alors que sans cela je n’aurais pas pu le suivre. Et il n’y a pas qu’à la télévision que les sous-titres sont importants : au cinéma, par exemple, le son des bruitages a tendance à recouvrir le son des voix. Si le film est sous-titré, plus de problème ! Malheureusement, ce sont souvent les films étrangers qui seront sous-titrés, et non les films français. J’ai découvert au Canada qu’il existe des dispositifs qui permettent à un malentendant d’avoir accès aux sous-titres de n’importe quel film, quel que soit sa langue. Hélas, je n’ai encore pas trouvé de cinéma qui propose ce système en France (encore moins dans ma petite ville de province…).

Au théâtre ou à l’opéra aussi, les sous-titres (ou sur-titres) sont très utiles. A Montréal, les opéras sont sur-titrés en français et en anglais, alors que le texte est chanté en italien ou en allemand, par exemple. Cela permet à tout le monde de suivre l’histoire sans avoir à tenter de lire le livret au fur et à mesure. Si les pièces de théâtre étaient sur-titrées sur un écran au dessus de la scène, par exemple, j’irais bien plus souvent au théâtre. Parce que dans l’état actuel des choses, payer entre 20 et 40 euros pour ne pas être sûre de comprendre ce dont on parle, cela me tente moyen.

Et puis, bien sûr, pour toutes les vidéos sur internet, les sous-titres c’est ultra utile !! Mon conseil : si vous faites un blog vidéo, une chaîne YouTube, ou n’importe quelles vidéos sur internet, sous-titrez les !! Parce que les sous-titres automatiques, c’est souvent du grand n’importe quoi, surtout si la personne qui parle n’a pas une diction parfaite. Et sans sous-titres, eh bien… il y a un tas de gens qui n’auront pas accès à votre vidéo.  Imaginez, rien qu’en France, il y a 7 millions de personnes malentendantes ! Autant vous dire qu’en rajoutant simplement des sous-titres, votre vidéo, votre programme de formation en ligne ou autre support en ligne pourra parler à bien davantage de personnes !

En tout cas, j’apprécie beaucoup les vidéos sous-titrées, quel que soit leur support. Parce que le simple geste de sous-titrer des paroles est une preuve de respect pour moi, et pour tous ceux qui entendent mal.

 

Cla-quée ! Ou l’épuisement d’entendre mal

Fa-ti-guée ! Ou l'épuisement lié à la perte auditive

Avez-vous déjà passé quelques jours ou semaines dans un pays étranger pour en apprendre la langue ?

Vous vous levez le matin, plein d’entrain, prêt à parler et à écouter une langue étrangère toute la journée. Les premiers échanges, dans la matinée, se passent plutôt bien, mais vous vous rendez vite compte qu’au fur et à mesure que le temps passe, vous avez de moins en moins d’énergie. Chaque interaction demande votre concentration totale, autant pour essayer de comprendre ce qui est dit que pour tenter d’y répondre. Vers la fin de l’après-midi, vous vous sentez décrocher des conversations de plus en plus souvent, jusqu’à être en mode zombie dès le début de la soirée. Et il arrive même peut-être un stade où vous évitez les autres autant que possible, parce que vous n’avez plus assez d’énergie pour communiquer.

Eh bien, être malentendant, c’est un peu pareil, sauf que c’est ce qui se produit avec notre langue maternelle et que, contrairement à l’apprentissage d’une langue étrangère, cela va rarement en s’améliorant avec le temps et la pratique.

Parce que voilà, à chaque fois que quelqu’un me parle, je mobilise toute ma concentration pour comprendre ce qui est dit. Je regarde mon interlocuteur avec autant d’intensité que s’il s’agissait d’une de ces images en 3D qu’on ne peut voir qu’en fixant le regard à travers le dessin. Et malheureusement, tout comme pour ces dessins en 3D, je ne parviens pas toujours à déchiffrer le message sans hériter d’un bon mal de tête.

Bien sûr, certaines conditions compliquent la communication : le bruit environnant par exemple, une personne qui parle en bougeant ou en me tournant le dos, parler à quelqu’un à contre-jour, ou tenter de démêler une conversation de groupe sont autant de facteurs qui vont rendre la compréhension difficile, et qui me demanderont encore plus d’efforts, tandis que si la personne me parle en me regardant, le visage éclairé, face à moi, proche de moi et en articulant bien, cela sera plus facile pour moi.

Mais toutes les interactions me demandent de l’énergie, même quand elles se produisent dans d’assez bonnes conditions. Peut-être parce qu’il me faut tous mes neurones disponibles pour faire le lien entre les mots que j’entends et le contexte, et ainsi deviner ce qui m’échappe forcément.

C’est pour cette raison que j’ai du mal à passer de grands moments à discuter. Quand je retrouve des copains au café, il y a toujours un moment où je décroche et je pars dans mes pensées. Cela me permet de me reposer un instant avant de repartir dans une discussion.

Pareil si je suis invitée à un dîner.

Ou si des amis me rendent visite.

Ou si j’ai une réunion de famille.

Ou si je participe à une rencontre dans le cadre d’un réseau professionnel.

Ou pour toutes les occasions où je suis avec des gens pendant plusieurs heures, vraiment.

C’est aussi pour cela que j’ai besoin de silence. J’écoute rarement de la musique en travaillant, parce que cela me fatigue trop. Quelquefois je mets juste mon casque sur les oreilles, pour m’isoler, mais sans son.

C’est un peu comme si j’avais une barre d’énergie pour toute la journée, et qu’elle se vide au fur et à mesure des interactions et de la concentration qui m’est demandée. Quand elle est vide, je ne suis plus capable de tenir une conversation.

Cette dose d’énergie quotidienne ne semble pas avoir la même contenance d’un jour à l’autre. Comme tout le monde, il y a des jours où je me fatigue plus vite et d’autres où j’ai l’impression d’être une super-héroïne de la concentration.

Pendant longtemps j’ai culpabilisé. Cela m’ennuyait beaucoup de décrocher au milieu d’une conversation, ou de ne plus être capable de comprendre quelqu’un au bout d’un moment.

Et j’ai toujours un peu peur que les gens se méprennent sur les raisons de mon mutisme soudain, ou de mon départ prématuré, ou de ma non-participation aux discussions de groupe. Et il est possible que certaines personnes le prennent mal, ou pensent que je suis de mauvaise humeur/froide/distante/désagréable.

Alors j’essaie d’expliquer, avant de partir, quand la situation s’y prête. Histoire que la personne ne pense pas que c’est elle qui me saoule, quand c’est mon corps qui me lâche.

Et les gens comprennent, le plus souvent.

Il suffit de le dire, finalement.

 

Entendre, ou comprendre ?

oreille-écoute

Un audiogramme, c’est simple.

Prenez six fréquences des graves aux aigus, voyez à quel nombre de décibels chaque fréquence est perçue, et voilà.

Mais quand on est dans le cagibi, en train de passer le test, le casque sur les oreilles, ce n’est pas si facile de dire à quel moment on entend chaque fréquence.

Le médecin fait tourner sa molette, l’oeil de plus en plus inquiet au fur et à mesure qu’il la tourne, tandis qu’on reste inerte sur le fauteuil, à se demander si le vague couinement qu’on entend est un acouphène ou si c’est bien la fréquence qu’on est censé entendre.

Après ce test-là, on sait si on a perdu 10, 20 ou 50 % de son audition, grâce à un calcul savant d’après un algorithme, qui apparaît en petit sur un coin de la feuille.

C’est rassurant de pouvoir mettre un chiffre sur son audition.

J’ai perdu 30%, ou 50% des deux oreilles. 80% d’une oreille, 30% de l’autre. Cela semble vouloir dire quelque chose, et notre interlocuteur va faire un Oh ou Ah plein d’empathie, et on aura l’impression d’avoir été compris.

Audiogramme

Un exemple d’audiogramme. Les deux graphiques du haut : fréquences pour oreilles gauche et droite (les fréquences sont en haut, en Hz, les dB sur le côté. On lit donc : le son de 500 Hz est perçu à 60dB d’une oreille et à 50dB de l’autre). En bas à gauche : pourcentage de perte calculée d’après un algorithme obscur. En bas à droite : résultats du test de compréhension (les dB sont en bas, les pourcentages sur le côté. On lit : 100% de mots compris à 70 dB, 0% à 40 dB).

Mais en fait, cela ne signifie pas grand chose.

Car ce qui importe, ce ne sont pas les sons que l’on perçoit.

Ce sont les mots que l’on comprend.

Et cette compréhension est aussi testée lors d’un audiogramme. C’est d’ailleurs la partie du test que je redoute le plus.

Des mots sont prononcés par une voix d’homme ou de femme, dans une oreille, puis dans l’autre, d’abord tout doucement, puis de plus en plus fort, et on doit les répéter. Ou du moins, on doit répéter ce que l’on comprend.

Il y a certains mots que je ne comprends pas du tout : impossible de répéter quoi que ce soit. Puis, le son augmente, et il y a certains mots que je crois comprendre, mais je n’en suis pas sûre. Je répète, mais entre le vallon et le ballon, le poteau et le bouton, ce n’est pas évident. Alors je choisis un mot et je le dis, sachant que c’était peut-être l’autre en fait (ou un troisième auquel je n’aurais pas pensé).

Une difficulté supplémentaire provient du fait que les mots ne sont pas tous dans le même registre linguistique, et que certains sont vieillots ou peu usités (par moi en tout cas). Une liste type peut inclure des mots comme « le tripot », « le saindoux », « le bambin », « le défi », et « le brigand ». Qui parle encore de tripot et de brigand dans le langage courant ? Du coup, la tendance est forte, même si j’ai bien entendu le mot, de le modifier pour dire quelque chose de plus acceptable dans le langage courant.

Ce test-là montre vraiment ma compréhension auditive à l’état brut.

Plus on est malentendant, et plus il faut de décibels pour qu’on parvienne à comprendre ces mots correctement (sans aide visuelle, bien sûr). Et on arrive à un stade où, même avec un volume élevé, on ne comprend pas tous les mots.

Après, j’ai de la chance. Ma compréhension est plutôt bonne. Ce qui fait que je peux avoir une conversation avec quelqu’un, dans un milieu calme, sans appareils. (Et des fois je les oublie, sauf que quand je me retrouve en ville ou dans un environnement bruyant, je le regrette bien…)

D’autres personnes, avec une perte similaire à la mienne, peuvent n’avoir aucune compréhension sans leurs appareils. Et peut-être que d’autres s’en sortent encore mieux que moi sans appareils !

Pourquoi cette différence ?

Aucune idée.

Peut-être que c’est plus facile de garder une meilleure compréhension si on se fait appareiller le plus tôt possible. Plus la surdité est importante au moment de l’appareillage, et plus c’est difficile pour le cerveau de s’adapter à un volume d’audition « normal ».

J’imagine aussi qu’un cerveau plus jeune aura moins de mal à garder l’élasticité nécessaire à la compréhension qu’un cerveau plus âgé.

Mais en fait, les raisons de cette différence m’échappent. Chaque surdité est différente, c’est sûr, et cela affecte énormément la capacité de compréhension, qui va varier d’une personne à l’autre.

Une chose est sûre, ce n’est pas parce que j’entends un son que je le comprends.

Il y a des jours où ma compréhension est moins bonne que d’autres. Ma moitié me fait alors remarquer que j’entends vraiment mal, ce jour-là. Mais en fait, ce n’est pas que j’entends mal, c’est que je comprends mal. Du son parvient à mes oreilles, mais pas les mots. C’est comme si on me disait quelque chose du genre : « Glou biblou bam ripe ». Aucun sens.

Quelquefois, c’est parce que j’ai plus d’acouphènes ce jour-là, et j’ai l’impression d’avoir la tête dans un brouillard. Ou bien, je suis fatiguée, ou préoccupée, et j’ai du mal à me concentrer. Et il y a des jours où je n’ai aucune idée de la raison, mais je comprends juste vraiment moins bien.

Quand on perd l’audition, c’est la compréhension qui part en premier. On a l’impression, tout à coup, que tout le monde marmonne ou parle dans sa barbe. C’est pour cela qu’on ne se rend pas compte qu’on a perdu de l’audition (et qu’on accuse les autres, en passant) !  Parce que les sons, on les entend toujours ! Mais leur sens est de plus en plus difficile à décoder.

Et vous, quelle est votre expérience de la perte auditive ? Comment percevez-vous les sons ? Ou comment avez-vous remarqué qu’un de vos proche avait perdu de l’audition ?

Ce traumatisme sans cesse renouvelé

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Tu t’étais habitué à ta perte d’audition.

Tu t’étais habitué à mettre tes appareils auditifs tous les matins.

Tu t’étais même habitué aux moments où il faut faire répéter cinq ou six fois pour ne pas comprendre malgré tout.

Tu avais trouvé un nouvel équilibre, tu t’étais adapté.

Et là, tout recommence.

On te dit de plus en plus que tu fais beaucoup répéter. On s’en étonne. Tu grimaces à chaque fois.

Tu ne reconnais plus les chansons que tu reconnaissais avant, et la musique ne ressemble plus à rien.

Ou peut-être que tu sors d’un spectacle qu’il y a peu de temps, tu aurais pu suivre. Mais tu n’as rien compris. Pas un mot. Ou plutôt si, un mot ici et là, mais pas assez pour comprendre la trame de l’histoire. Tu ressors les larmes aux yeux, la colère au ventre. Tu as envie de hurler.

Et là, tu vas chez l’ORL pour faire un nouvel audiogramme.

Et c’est confirmé.

Tu as perdu encore 5, 10, ou 20% de ton audition déjà défaillante. Ou peut-être plus.

Tu lèves la tête vers le médecin, espérant recevoir un message d’espoir, la nouvelle d’une avancée médicale qui pourrait réparer tout ça, ou même simplement du soutien. Mais le médecin sourit vaguement d’un air gêné, et reste aveugle à tes yeux embués, et à ta voix qui se casse au beau milieu de ta question :

« Mais alors, il n’y a rien à faire ? »

Eh non, il n’y a rien à faire. Simplement retourner voir ton audioprothésiste, augmenter les réglages de tes appareils, et recommencer cette #@*% de phase d’adaptation qui est si pénible, à chaque fois.

Cette expérience, je l’ai vécue deux fois déjà. Une perte de 20% à chaque fois, par rapport à l’audiogramme précédent.

L’estomac qui semble faire un saut à l’élastique, l’émotion qui étrangle, je l’ai ressenti à chaque fois. L’impression que c’est la fin, peut-être. Que plus rien ne pourra être bien après ça. Que tout ça n’en vaut plus la peine.

Et puis je suis allée chez mon audioprothésiste.

J’ai fait régler mes appareils.

Je me suis réhabituée.

C’est vrai que le moment de la nouvelle est vraiment difficile.

Une impression de se faire engloutir par les abysses. La tête sous l’eau, sans pouvoir remonter pour prendre l’air.

La chance que j’ai eue, et que j’ai toujours, c’est d’être bien entourée.

Le fait de me rendre compte que mon couple est solide, et que ma perte auditive ne sera pas la cause d’une déchirure, déjà, c’est énorme.

Et aussi la présence de ma famille et de mes amis.

Et enfin, la confiance en moi. Cette petite voix intérieure qui m’assure que quoi qu’il arrive, je trouverai comment faire face. Que j’ai assez de créativité, assez de résilience et assez de soutien pour rebondir, cette fois encore.

L’espoir que la technologie va continuer à progresser, et que bientôt, j’aurai une application sur mon téléphone qui me permettra de téléphoner avec des sous-titres en temps réel. Bientôt.

Et puis, finalement, cette période passe, et je m’habitue.

Je m’habitue à la perte d’audition.

Je m’habitue à mettre mes appareils auditifs tous les matins.

Je m’habitue même aux moments où il faut faire répéter cinq ou six fois pour ne pas comprendre malgré tout.

Et je recommence à voir de la beauté autour de moi, à ressentir l’exaltation d’avoir des projets, et la joie d’être en vie.

Perte d’audition : le casse-tête de la communication avec les enfants

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Vous êtes dans la rue, vous marchez tranquillement, sa petite main dans la vôtre, quand soudain, elle se met à vous tirer le bras. Vous regardez vers le bas pour comprendre ce qui se passe, et vous voyez son visage levé vers le vôtre. Et catastrophe : elle vous parle ! Impossible de comprendre un mot de ce que votre petite fille vous dit, entre le brouhaha des voitures, le bruit des pas, les conversations du café avoisinant, etc.

La solution serait de vous arrêter, de vous accroupir à son niveau, pour pouvoir vraiment comprendre ce qu’elle vous dit. Alors vous le faites, vous vous arrêtez, vous regardez autour de vous pour ne pas vous mettre au milieu du chemin, vous posez vos sacs par terre, vous vous baissez, vous rattrapez votre sac à main qui glisse le long de votre épaule, vous la regardez, vous lui dites : « Qu’est-ce qu’il y a, ma chérie ? »

Et là elle vous dit quelque chose du genre : « Tu as vu l’arbre ? Il avait plus de feuilles ! »

Bon, c’est mignon, et tout, mais vous êtes pressée, vous avez encore des courses à faire à l’épicerie, et vous avez juste le temps de les faire avant le rendez-vous chez le docteur. Vous expliquez donc patiemment : « Oui, c’est vrai, mais là il faut qu’on se dépêche, Léonie. Sinon on va être en retard chez le docteur. »

Son petit visage devient tout sérieux, et elle hoche la tête. Vous vous relevez, rattrapez vos sacs et sa main, équilibrez le tout comme vous le pouvez, et trois pas plus loin, même chose.

Alors vous avez le choix : soit vous ignorez le discours de l’enfant complètement, faisant comme si elle n’avait pas parlé ; soit vous lui dites, sans essayer de comprendre ce qu’elle dit : « Tu me parleras tout à l’heure, ma puce. Là il faut qu’on y aille, vraiment ! » ; soit vous vous arrêtez à nouveau pour l’écouter, et vous vous mettez un peu plus en retard. Mais si vous choisissez d’ignorer ce qu’elle dit, et qu’en fait elle a un besoin urgent de faire pipi, ou un caillou dans la chaussure, ou autre, cela peut avoir des conséquences assez ennuyeuses, entre les vêtements et chaussures mouillés, et le hurlement de douleur accompagné de pleurs impossibles à calmer.

C’est compliqué, la communication avec les enfants, quand on entend mal.

Et ce, pour plusieurs raisons.

  • Le langage peu compréhensible

Tout adulte aura du mal à comprendre un petit enfant qui est en train d’apprendre à parler, sauf peut-être les parents dudit enfant (et encore).

Pour un adulte qui entend mal, c’est pire !

Un enfant qui est en phase d’apprentissage du langage a souvent du mal à prononcer certains mots ou certains sons. Il peut aussi remplacer certains sons par d’autres, ou avoir des difficultés à articuler.

Certains enfants parlent malgré tout très vite, avalant la moitié des mots au passage, produisant ainsi ce baragouinage adorable qui terrifie la personne malentendante à qui l’enfant s’adresse, et ce pour une bonne raison : c’est incompréhensible !

D’où la tendance, peut-être, à se tourner vers les parents de l’enfant pour demander une traduction. Mais si on se trouve être le parent malentendant de cet enfant, c’est plus compliqué…

  • Le timbre de voix

Un enfant a une voix plus aiguë, plus haut perchée.

Pour peu qu’on ait justement perdu ces fréquences-là, cela devient vraiment difficile de comprendre ce que l’enfant dit.

  • La taille de l’enfant

Par essence, un enfant est, en général, plus petit qu’un adulte.

Bien plus petit, dans certains cas.

Or, nous avons besoin que la personne parle assez près de nos oreilles (et de nos yeux), si nous voulons avoir une chance de comprendre ce qui est dit.

Si la voix vient d’une hauteur située entre nos genoux et notre taille, c’est vraiment compliqué !

Ca va si tout le monde est assis, et donc assez proche, ou si on est assis et que l’enfant est debout. Mais si tout le monde est debout (et, encore pire, en mouvement, en ville, ou dans un environnement bruyant), alors là, ça devient vite mission impossible !

  • Les mouvements

La plupart des enfants sont quasiment tout le temps en mouvement. Et ils s’arrêtent rarement de bouger pour parler !

Du coup, un enfant va facilement commencer une phrase en nous regardant, et la finir en nous tournant le dos parce qu’il a vu un pigeon, ou tout simplement qu’il est en train de courir autour de nous.

Mais une personne malentendante a besoin que les paroles soient dites sans bouger, autant que possible, pour faciliter le positionnement des oreilles (et des appareils le cas échéant) par rapport au son, ainsi que la lecture des lèvres et des expressions du visage, qui aide toujours énormément à la compréhension.

  • Les « secrets »

Je ne sais pas pourquoi, mais quand on est enfant, on aime bien murmurer des secrets à son parent ou à ses amis adultes (ou enfants).

On cache sa bouche avec sa main, on colle la bouche et la main à l’oreille de l’adulte, et on chuchote le message que l’on veut faire passer.

Et pour un malentendant, cette configuration relève du cauchemar pour la compréhension.

En gros, on entend : « Eh ! Je vais te dire un secret ! »

Puis : « Pchi pchi pchi pchi pchi. »

Et allez-y, essayez de dire à un enfant de vous dire son secret en parlant assez fort, en articulant bien et en vous regardant bien en face. Eh oui, ça n’a plus grand chose d’un secret !

 

L’appréhension de devoir communiquer avec des enfants a déjà pu me faire paniquer. J’aurais tendance à m’extraire ou me soustraire aux occasions où c’est nécessaire.

Mais au final, je me suis rendu compte qu’il suffit de leur expliquer que j’entends mal, et que j’ai besoin qu’ils fassent un effort pour me parler. Ensuite, je les fais répéter quand je ne comprends pas, et ça se passe plutôt bien !

Le plus important, c’est de ne pas les ignorer ou faire comme s’ils n’avaient rien dit (ce qui n’est pas toujours possible, quand je n’ai pas entendu qu’ils parlaient, par exemple). Et à partir du moment où il y a du respect dans les deux sens, toutes les difficultés peuvent être surmontées.

Et vous, comment gérez-vous la communication avec les enfants ? Et comment les enfants de votre entourage gèrent-ils cette difficulté ?