J’avais 28 ans. J’étais installée depuis plusieurs années à l’étranger, et j’avais un travail qui me plaisait assez. La vie semblait s’ouvrir à moi, pleine de promesses. Et puis par un beau jour d’été, je me suis rendu compte que, malgré les multiples piqûres qui démontraient bien que l’espèce n’était pas en voie de disparition, je n’entendais plus le vrombissement des moustiques. J’avais beau tendre l’oreille, rien. Pourtant ils étaient là, je sentais bien les mouvements d’air sur ma peau avant chaque piqûre, et les démangeaisons ne se faisaient pas oublier, elles non plus. Alors j’ai pris les choses calmement, et j’ai pensé, de façon très pragmatique, que c’était sûrement dû à quelque chose qui obstruait mon canal auditif, un bouchon de cérumen par exemple. Je me suis précipitée chez l’ORL, certaine que j’en ressortirais avec une audition comme avant.
Hélas, ce n’est pas tout-à-fait ce qui s’est passé. L’ORL m’a gentiment expliqué que non, je n’avais aucun bouchon de cérumen ni aucune obstruction dans les canaux auditifs. Et puis, il m’a fait passer un audiogramme. Et là, il m’a dit que j’avais perdu environ 30% de mon audition, des deux côtés. « Surdité évolutive congénitale », il a dit. Rien à y faire, donc. Et puis, il m’a conseillé de me faire appareiller.
Si vous avez déjà vécu ce cas de figure, vous avez peut-être, vous aussi, senti votre visage perdre ses couleurs pendant que de multiples émotions, cas de figures et scénarios s’emmêlaient dans vos neurones. Et puis, vous vous êtes peut-être entendu dire d’une voix inexpressive : « D’accord, merci docteur » en prenant l’ordonnance, pour ensuite la froisser et la jeter dans la première poubelle venue.
L’ORL avait de bons arguments, vraiment. « Vous savez, c’est mieux de se faire appareiller jeune. Ca permet de ne pas prendre de mauvaises habitudes, et de ne pas s’isoler. » Ou encore : « la technologie a beaucoup progressé ces dernières années, il existe maintenant des appareils quasiment invisibles qui sont très performants ! » Eh bien, peut-être, mais c’était hors de question. Je n’étais pas handicapée et je n’allais pas me comporter comme telle ni même accepter un tel diagnostic ou une telle recommandation. J’étais jeune, j’avais la vie devant moi, et quoi, je n’entendais plus les moustiques, ce n’était pas la fin du monde ! C’était même plutôt agréable de ne plus se faire réveiller par un bourdonnement désagréable et irritant. Dans mon cas de figure, je me suis débattue avec la colère, la peur, et l’incapacité pure et simple d’accepter ce handicap pendant deux bonnes années. Je me suis brouillée avec une amie qui me conseillait de franchir le pas de l’appareillage avec un peu trop d’insistance, et j’ai fait l’autruche pendant ces deux années.
Puis, un beau jour, je me suis dit : « Bon. Et si j’essayais ? » Et j’ai pris rendez-vous chez un autre ORL. J’avais de la chance, mon audition n’avait pas diminué depuis l’audiogramme précédent, et j’ai pu aborder la nouvelle étape de l’appareillage un peu plus sereinement. J’étais même pleine d’espoir, confiante que la technologie allait améliorer le problème de telle sorte qu’il en deviendrait indécelable. Là encore, les choses ne se sont pas vraiment passées comme cela.
J’ai eu des moments de déprime intense, tandis que je devais faire le deuil de certains pans de ma vie. Et j’ai aussi redécouvert certaines choses, activités, et certains sons, grâce à la technologie, mais aussi quelquefois au courage d’oser faire quelque chose qui me paraissait inaccessible (la musique, par exemple). J’ai trouvé des outils, des façons de penser et de voir les choses qui m’ont aidée à avancer – et je continue d’en trouver. J’ai commencé à partager mon parcours et mes connaissances sur le sujet dans le cadre de sensibilisations auprès d’agents du service public, à la mairie de ma petite ville, il y a deux ans. J’ai pris conscience que cela marchait très bien : les agents étaient ravis et parvenaient à vraiment appréhender certains tenants et aboutissants du handicap auditif, ce qui leur permettait de mieux gérer le contact avec des malentendants dans le cadre de leur travail et de leur vie. Qui plus est, j’avais l’impression que ce qui jusque là n’avait été qu’un problème devenait utile, et que cela me donnait quelque chose de positif à partager. C’est l’enthousiasme de ces premières sensibilisations qui m’a portée jusqu’au lancement de ce site et de ce blog. C’est cet enthousiasme qui me permet de continuer dans une idée de partage et de service.
Et vous, si vous êtes malentendant, comment avez-vous vécu l’annonce de la nouvelle ? Quelles stratégies avez-vous mises en place pour gérer la perte auditive ?
Si vous avez un proche ou un collègue malentendant, comment avez-vous réagi, et comment gérez-vous cette difficulté d’audition ?
je n’avais pas encore lu cet article et je constate avec consternation (mais sans étonnement) combien les diagnostics ‘médicaux’ peuvent être violents pour la personne qui le reçoit
qu’on annonce un cancer ou une perte auditive, les médecins ont des progrès à faire, je trouve……car il n’est pas vraiment tenu compte du ressenti de la personne: comment se sent-elle avant et après l’annonce……à mon sens, l’annonce devrait se faire progressivement au cours d’une conversation où la personne concernée pourrait s’exprimer sur ce qui l’amène à consulter (mais il faudrait du ‘temps’ et plus personne ne ‘prend le temps’…)
encore un bien bel article, Armelle, et qui est ô combien utile sur nos conduites, quel que soit le domaine!
Merci Malyloup ! C’est vrai que c’est pas évident, et c’est pour ça que c’est important de se soutenir les uns les autres…
oh que oui!!!