Ce traumatisme sans cesse renouvelé

worried-girl-413690_1280

Tu t’étais habitué à ta perte d’audition.

Tu t’étais habitué à mettre tes appareils auditifs tous les matins.

Tu t’étais même habitué aux moments où il faut faire répéter cinq ou six fois pour ne pas comprendre malgré tout.

Tu avais trouvé un nouvel équilibre, tu t’étais adapté.

Et là, tout recommence.

On te dit de plus en plus que tu fais beaucoup répéter. On s’en étonne. Tu grimaces à chaque fois.

Tu ne reconnais plus les chansons que tu reconnaissais avant, et la musique ne ressemble plus à rien.

Ou peut-être que tu sors d’un spectacle qu’il y a peu de temps, tu aurais pu suivre. Mais tu n’as rien compris. Pas un mot. Ou plutôt si, un mot ici et là, mais pas assez pour comprendre la trame de l’histoire. Tu ressors les larmes aux yeux, la colère au ventre. Tu as envie de hurler.

Et là, tu vas chez l’ORL pour faire un nouvel audiogramme.

Et c’est confirmé.

Tu as perdu encore 5, 10, ou 20% de ton audition déjà défaillante. Ou peut-être plus.

Tu lèves la tête vers le médecin, espérant recevoir un message d’espoir, la nouvelle d’une avancée médicale qui pourrait réparer tout ça, ou même simplement du soutien. Mais le médecin sourit vaguement d’un air gêné, et reste aveugle à tes yeux embués, et à ta voix qui se casse au beau milieu de ta question :

« Mais alors, il n’y a rien à faire ? »

Eh non, il n’y a rien à faire. Simplement retourner voir ton audioprothésiste, augmenter les réglages de tes appareils, et recommencer cette #@*% de phase d’adaptation qui est si pénible, à chaque fois.

Cette expérience, je l’ai vécue deux fois déjà. Une perte de 20% à chaque fois, par rapport à l’audiogramme précédent.

L’estomac qui semble faire un saut à l’élastique, l’émotion qui étrangle, je l’ai ressenti à chaque fois. L’impression que c’est la fin, peut-être. Que plus rien ne pourra être bien après ça. Que tout ça n’en vaut plus la peine.

Et puis je suis allée chez mon audioprothésiste.

J’ai fait régler mes appareils.

Je me suis réhabituée.

C’est vrai que le moment de la nouvelle est vraiment difficile.

Une impression de se faire engloutir par les abysses. La tête sous l’eau, sans pouvoir remonter pour prendre l’air.

La chance que j’ai eue, et que j’ai toujours, c’est d’être bien entourée.

Le fait de me rendre compte que mon couple est solide, et que ma perte auditive ne sera pas la cause d’une déchirure, déjà, c’est énorme.

Et aussi la présence de ma famille et de mes amis.

Et enfin, la confiance en moi. Cette petite voix intérieure qui m’assure que quoi qu’il arrive, je trouverai comment faire face. Que j’ai assez de créativité, assez de résilience et assez de soutien pour rebondir, cette fois encore.

L’espoir que la technologie va continuer à progresser, et que bientôt, j’aurai une application sur mon téléphone qui me permettra de téléphoner avec des sous-titres en temps réel. Bientôt.

Et puis, finalement, cette période passe, et je m’habitue.

Je m’habitue à la perte d’audition.

Je m’habitue à mettre mes appareils auditifs tous les matins.

Je m’habitue même aux moments où il faut faire répéter cinq ou six fois pour ne pas comprendre malgré tout.

Et je recommence à voir de la beauté autour de moi, à ressentir l’exaltation d’avoir des projets, et la joie d’être en vie.

Le malentendu suprême

ira7 by xvire1969 http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/

 

J’ai récemment appris qu’une personne de mon entourage avait du mal à savoir comment être avec moi, parce qu’elle me trouvait froide et distante.

Ca m’a fait un choc.

Si je pouvais me définir, ce ne serait jamais comme étant quelqu’un de froid. Et encore moins de distant.

En fait, j’aime beaucoup les gens.

J’aime les découvrir, et me faire surprendre par les facettes de leur personnalité.

J’aime participer à des conversations, et avoir le sentiment que j’appartiens à un groupe. J’aime me sentir entourée.

Comme tout un chacun sûrement ?

J’aime aussi parler de tout et de rien avec un groupe d’amis, juste pour la joie d’être ensemble et de rire ensemble.

Mais c’est épuisant. Une simple conversation entre amis, où chacun pimente la conversation de son humour, où on s’interrompt et où on rit, ça n’a l’air de rien. Mais moi, je suis perdue dès la première blague que je n’ai pas saisie.

Très vite, je ne sais plus qui parle, et encore moins de quoi on parle.

Et allez-y, dans une conversation comme ça, essayez d’interrompre la discussion pour demander de répéter ce qui vient d’être dit… Sachant qu’il faudra répéter chaque blague et chaque intervention pour que je puisse suivre, ce qui tue la légèreté de l’échange aussi efficacement qu’un bon seau d’eau glacée.

Alors je ne le fais pas.

Je pars dans mes pensées, je sirote mon café, je me dis que ce n’est pas si grave, que rien d’important n’a été dit.

Mais en fait c’est faux.

Parce que ces petites conversations sans importance, parsemées de rires et de bons mots, sont le ciment des amitiés. C’est ce qui fait qu’on a envie d’être ensemble, de se retrouver sur une terrasse de café, de partager des soirées et de faire des pique-niques.

Et là encore, je n’ai pas trouvé de solution.

Faut-il, comme certains me l’ont conseillé, simplement laisser tomber et me consoler en me disant que si les autres ne font pas l’effort de passer par dessus leur impression, c’est qu’ils n’en valent pas la peine ?

Pas si sûr.

Dois-je pour autant passer mon temps à tenter de leur montrer, d’une façon ou d’une autre, que je ne suis pas celle qu’ils pensent ?

Non plus, parce qu’il y aura toujours des moments où une personne me dira bonjour dans la rue, et je ne la verrai pas. Or si je ne la vois pas, je ne l’entendrai pas non plus, et je ne répondrai pas à son salut. Et en réalité, je n’ai aucun pouvoir sur ce qu’elle pensera alors de moi.

J’en arrive à penser que tout le monde en est là. Pour moi, c’est un peu plus visible parce que mon handicap auditif forme un obstacle concret dans la communication.

Mais il peut y avoir une myriade d’autres obstacles moins permanents : la timidité, la mauvaise humeur d’un jour, la fatigue, les préoccupations, etc.

Au bout du compte, le mieux que je puisse faire, c’est d’expliquer aux autres ce que je vis.

Malgré cela, il y aura sûrement toujours des gens qui me trouveront indifférente ou qui interprèteront certains de mes comportements comme un complexe de supériorité. Je ne pourrai pas expliquer à TOUS CEUX que je croise que ce n’est pas le cas, que c’est juste que j’entends mal.

Par contre, je peux rester vigilante quant à mes propres impressions, et faire attention de ne pas interpréter constamment les réactions des autres comme un jugement contre moi.

Et faire confiance que mes amis feront toujours l’effort de passer par-dessus cet obstacle.