Non pas UNE, mais DES surdités

oreille barrée

 

J’ai lu beaucoup de commentaires, retours et témoignages de sourds et malentendants, ces derniers temps.

Et une chose m’a beaucoup frappée : nos différences !

Certains sont nés sourds ou malentendants. D’autres le sont devenus.

Certains ont une surdité légère, moyenne, tandis que d’autres sont atteints d’une surdité sévère, profonde ou totale.

Certains communiquent en langue des signes. D’autres non.

Certains écoutent ou font de la musique. D’autres non.

Certains peuvent suivre un film au cinéma sans sous-titres, d’autres ont plus de mal et pour d’autres encore, c’est complètement impossible.

Certains fréquentent une communauté majoritairement composée d’autres personnes sourdes. D’autres ne connaissent aucune autre personne qui entende mal, et ne sont entourés que de personnes entendantes.

Certains sont entre les deux. Nés sourds, mais oralistes, et peu à l’aise en langue des signes.

Ou devenus malentendants, mais préférant la langue des signes à une communication orale devenue trop difficile avec leur communauté entendante d’origine.

Certains pratiquent la lecture labiale constamment, tandis que d’autres la rejettent, ou ne parviennent pas à lire sur les lèvres de façon assez performante pour vraiment s’en servir.

Certains sont à l’aise avec leur surdité, et la considèrent comme une identité plutôt que comme un handicap. D’autres se sentent diminués, isolés, en deuil.

Et tout cela semble dépendre d’une multitude de facteurs.

Le fait d’être né sourd ou malentendant, ou de l’être devenu plus tard en est un, et pas des moindres.

La personnalité des gens, aussi, qui va faire que la personne va se sentir plus militante, plus résiliente, ou plus timide, effacée ou déprimée.

Leur situation sociale et familiale, leur environnement vont avoir une influence.

L’éducation fait également la différence. Si on a appris la LSF dès son plus jeune âge, ou si on l’a apprise plus tard, ou pas du tout. Si on a fait un parcours scolaire dans le public, avec des personnes entendantes, ou si on a été éduqué dans des écoles spécialisées.

Et puis, la perception auditive de chaque malentendant est différente ! Moi, j’ai perdu surtout des médiums. Les sons que j’entends sont déformés d’une certaine façon qui est propre à ma surdité. Une personne qui a perdu davantage d’aigus, ou de graves, aura une expérience auditive complètement différente.

Certaines personnes se sentent bien dans des milieux bruyants, alors que c’est insupportable pour d’autres.

Chacun réagit différemment à son environnement. Certaines personnes trouvent que les autres ne font pas assez l’effort de les inclure, tandis que d’autres personnes ont tendance à s’isoler d’elles-mêmes, ou à culpabiliser d' »embêter les autres avec leur handicap ».

La gamme de vécus différents est incroyablement vaste !

Et les réactions à ces vécus sont tout aussi diverses.

Quand on dit que LA surdité n’existe pas, mais qu’il y a DES surdités, c’est vraiment rien de le dire.

Et malgré tout, à travers ces différences, nous nous retrouvons.

Sur une expérience, un ressenti, une émotion.

Et à cette occasion, nous sortons de NOTRE surdité, notre expérience propre, pour toucher à quelque chose de plus universel.

Car certaines réactions par rapport à ce blog m’ont montré que vraiment, ce que je partage depuis la situation particulière dans laquelle je me trouve peut toucher bien d’autres personnes, y compris celles qui vivent quelque chose de très différent !

De ces découvertes de diversité, je garde une profonde humilité par rapport à mon expérience. Ce que je vis est unique, et je ne peux pas parler au nom de tous. Je ne peux que partager mon témoignage, mes découvertes, mes questionnements. Certaines personnes, qu’elles soient sourdes, malentendantes ou entendantes, se retrouveront dans ce que j’écris. D’autres non.

Et c’est peut-être très bien comme ça.
 

 

Livre : grandir avec des parents sourds quand on entend…

 

Je suis tombée par hasard sur ce livre, qui m’a été chaudement recommandé. Je m’y suis jetée à corps perdu, et je l’ai lu en quelques jours. Il se lit vite. Très vite même. Les premières lignes donnent bien le ton :

« Mes parents sont sourds.
Sourds-muets.
Moi pas. »

Et de là part une myriade de petits chapitres, longs de quelques paragraphes ou de quelques pages, remplis d’anecdotes savoureuses et d’émotions brutes. la difficulté de grandir avec des parents sourds quand on entend. L’envie de pouvoir partager les mots que l’on apprend, et que l’on aime, avec ses parents, mais l’impossibilité de le faire. La honte d’avoir des parents « différents ».

Le livre est vite lu, mais pas vite oublié. Des passages entiers restent en mémoire, comme celui où la narratrice adolescente rentre de l’école en criant « Salut, bande d’enculés ! » Et sa mère, qui n’a rien entendu, bien sûr, l’embrasse avec tendresse.

Véronique Poulain met en évidence, d’une façon crue et directe, sans tabou, mais non sans tendresse, le fossé qui sépare le monde des entendants de celui des sourds. Et son malaise, en grandissant avec une audition « normale », et se rendant compte que ses parents ne sont pas comme tout le monde, est très bien montré, tout comme la fierté qu’elle éprouve malgré tout à leur égard, et qui lui permet de terminer le livre sur une note très positive.

Cette lecture m’a fait réfléchir. L’écart entre le monde des sourds et celui des entendants est évident. Ce sont deux cultures, avec une langue, et une façon d’être bien distinctes. Mais qu’en est-il du monde des malentendants ? De ceux qui ne parlent pas la langue des signes, mais qui ne parviennent pas non plus à s’insérer parfaitement dans la culture orale sans aide ? Nous ne sommes pas complètement sourds, et surtout nous ne connaissons pas la langue des signes. Du coup, la culture sourde nous est inaccessible. Les efforts qui sont faits pour rendre la culture compréhensible aux sourds, grâce à des pièces de théâtre ou autres événements doublés en langue des signes, ne nous aident en rien. Nous sommes d’ailleurs tout aussi démunis face à un sourd signant qu’un entendant.

Et pourtant, la culture entendante ne nous est pas tout-à-fait accessible non plus. Les films, la musique, les pièces de théâtre, les conversations de groupe sont difficiles, sinon impossibles à suivre. Nous sommes entre les deux. Le fossé entre nous et ceux qui entendent bien est moins important que celui que décrit Véronique Poulain, mais il est bien là : une fissure, qui reste invisible aux yeux des autres, tout comme notre handicap. Le défi est quotidien, tandis que nous tentons tant bien que mal de trouver notre place au sein d’une société dans laquelle le son est primordial.

Nous aussi, nous sommes confrontés à cette honte d’être différent, cette peur d’être à côté, d’être en décalage, d’être ridicule. C’est souvent si tentant de s’isoler, de s’éloigner des gens, de se réfugier dans les livres, ou dans sa vie intérieure. Mais j’ai remarqué une chose : j’ai envie de me sentir vivante, de sentir que j’appartiens à l’espèce humaine, et que je ne suis pas une île, perdue au milieu d’un océan déchaîné. Et pour cela, il faut que je détermine ce qui est important pour moi, et que je parvienne à le faire, coûte que coûte et quoi qu’il en soit. Tout comme Evelyn Glennie, il suffit d’être passionné par quelque chose pour ne plus se laisser abattre. Il y aura toujours des hauts et des bas. Mais tant que les hauts dominent, tout cela en vaut bien la peine…

Et vous, avez-vous déjà trouvé une passion, ou une façon d’être qui vous aide à avancer malgré votre handicap ou d’autres difficultés ? Ou bien, avez-vous accompagné ou aidé quelqu’un dans une situation similaire ? Quelle a été votre expérience ? Quels sont les éléments qui vous font retomber, et ceux qui vous aident à aller mieux ?