Perte d’audition – une vraie frustration

La frustration de la perte d'audition

Il y a des jours où je n’y arrive plus.

Il y a des jours où c’est juste insupportable.

Il y a des jours où ça me donne envie de hurler.

Si je viens de passer deux heures en compagnie d’amis, et que j’ai l’impression d’avoir compris moins de la moitié des conversations, par exemple. Ou si je sors du cinéma ou du théâtre et que je n’ai pas réussi à suivre l’intrigue du film ou spectacle que je viens de voir. Ou si mes acouphènes dans l’oreille gauche me donnent envie de me taper la tête contre les murs (ce qui n’aide absolument pas, d’ailleurs). Ou simplement les jours où je me sens si fatiguée à la fin (ou même au milieu) de la journée que j’ai envie de pleurer.

La frustration de ne pas entendre assez bien, de ne pas parvenir à suivre, et l’épuisement que mes efforts d’attention entraînent, tout cela crée une sorte de trop-plein qui vient à bout de toute ma patience, ma détermination et ma bienveillance envers moi-même.

Je n’en peux plus à ces moments-là.

Mes émotions jouent au yoyo, et je me sens victime de ces gènes tous pourris qui détruisent les cellules ciliaires de mon oreille interne. Pourquoi moi ? Je n’ai rien demandé, après tout !

Et puis je me sens triste. Triste de ne plus être capable d’entendre ce que j’entendais avant sans aucun problème. Triste de ne pas reconnaître mes chansons ou morceaux de musique préférés. Triste de ne plus pouvoir téléphoner à mes amis à l’étranger.

Alors je m’énerve. Pourquoi est-ce que tout le monde parle en marmonnant, sans me regarder et sans faire d’effort ? Pourquoi est-ce que je dois constamment rappeler aux autres que je n’entends pas bien ?

Et ça repart en boucle, et mon visage s’allonge, mon regard s’assombrit, et mon entourage se rend compte que ce n’est pas le moment de faire des blagues, ni même de me parler tout court.

Des périodes de frustration

Je traverse une de ces périodes en ce moment.

Je ne sais pas si c’est que j’accorde plus d’attention à tous les moments où je décroche, et à toutes les conversations que je ne parviens pas à suivre, mais j’ai l’impression que c’est pire qu’avant. Je me sens comme un navire en perdition dans la houle des mots incompris.

C’est effrayant.

Alors je trouve des outils, des petites choses, qui m’aident à me sentir mieux, et à sortir du trou de victimisation dans lequel je m’embourbe si je n’y prends pas garde.

Bien sûr, c’est à chaque personne de trouver des outils qui lui conviennent. J’ai trouvé un article (en anglais) de Shari Eberts qui détaille les moyens qu’elle a trouvé pour gérer la frustration qui semble inévitablement découler d’une perte d’audition. Ceux que j’ai trouvés sont finalement très similaires !

Des outils pour en sortir

  • Faire des pauses

Je remarque que les moments où je me sens le plus mal sont les moments où je viens d’avoir à me concentrer très fort pour essayer de suivre une conversation, une conférence, une réunion. J’ai dépensé beaucoup d’énergie pour peu de résultats, finalement, et je suis non seulement frustrée, je suis aussi épuisée. Le fait de prendre quelques instants pour être seule, lire quelque chose, faire une sieste ou prendre une douche bien chaude me permettent de passer par-dessus le moment le plus douloureux de l’émotion que je traverse.

  • Prendre le temps de s’occuper de soi

Il s’agit là plus d’une hygiène de vie que d’un outil à utiliser dans l’urgence.

Si je prends le temps de me sentir bien avec moi-même, de faire de l’exercice, de méditer, de dormir assez et de faire les choses qui sont importantes pour moi, j’ai beaucoup moins les nerfs à vif, et j’arrive à mieux vivre ma perte auditive en général. Et je parviendrai ainsi à sortir plus vite des émotions difficiles qui peuvent me submerger.

Dans les périodes de frustration, c’est donc d’autant plus important que je prenne soin de moi.

  • Se concentrer sur ce qui va bien

Alors ça, ce n’est pas évident à faire quand on est en plein milieu de l’émotion. C’est même presque impossible.

Une fois qu’on a passé le plus difficile et qu’on recommence à voir la lumière au bout du tunnel, par contre, c’est une bonne habitude à prendre. J’ai tendance à naturellement me concentrer sur ce qui est positif dans ma vie. Mes amis, mon travail, mon blog, mes divers projets d’écriture, la nature, mon chat, ma famille, et toutes les conversations et activités intéressantes que je parviens à suivre.

Parce que c’est mon habitude, j’ai la chance d’y revenir assez vite, même après avoir eu l’impression que ma perte auditive, c’était assurément la fin du monde.

  • En parler

Cela m’aide beaucoup de pouvoir en parler. D’une part, ce blog est déjà un outil qui m’aide à sortir de ces émotions, puisqu’il me permet de partager ce que je vis et d’avoir des retours d’autres personnes qui vivent des situations similaires, ou qui comprennent ce que je traverse. Ce sentiment de communauté est essentiel, et me permet de mieux vivre la frustration.

D’autre part, c’est très utile d’avoir un accompagnement psychologique, un groupe de parole, un forum de malentendants, ou même un cercle d’amis qui peuvent comprendre et nous apporter l’empathie dont nous avons besoin dans les moments les plus difficiles. La bienveillance de mes proches est très apaisante dans ces moments-là, et elle m’aide à renverser la vapeur et à retrouver une certaine bienveillance envers moi-même.

 

Et vous, quels outils avez-vous trouvés pour sortir des émotions difficiles liées à la perte auditive (ou à d’autres situations difficiles) ? Comment gérez-vous ces situations de frustration ?

De l’importance des sous-titres

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Je me rappelle avec émotion de l’époque où je pouvais suivre un programme à la télévision, et même à la radio, sans aucun problème. Les pièces radiophoniques de France Inter, que j’écoutais avec ma mère pendant qu’elle cousait. Et les programmes, films et séries en allemand, puis en anglais, quand j’habitais à l’étranger. Aucun souci ! Je n’avais pas besoin de regarder l’écran pour pouvoir suivre, et même les spectacles des humoristes étaient accessibles, y compris ceux qui parlent super vite (et même en anglais/allemand ! Ah là là. Soupir).

Et puis, petit à petit, j’ai eu plus de mal. J’ai arrêté d’écouter la radio. J’ai mis la télévision plus fort, et j’ai commencé à lire sur les lèvres des acteurs et des présentateurs. Et puis il est arrivé un moment où j’utilisais tellement la lecture labiale que je n’arrivais plus à regarder un film doublé. Parce que je lisais un texte en anglais sur les lèvres, et j’entendais (mal) un texte en français et mon cerveau était perdu entre les deux.

J’ai commencé à mettre les sous-titres. C’est arrivé, fort heureusement, à la même période que celle où les sous-titres se sont généralisés sur les chaînes de télévision, avec les box et la TNT. Et les sous-titres, ça me sauve la vie !!

Ca me permet de suivre là où mes oreilles ne suivent plus. Mes yeux prennent le relais, et m’assurent une compréhension quasi totale de ce qui se produit.

Pour peu, bien sûr, qu’il y en ait, des sous-titres. Et que ceux qui sont présents soient corrects, un minimum bien orthographiés, et synchronisés avec la vidéo.

Parce que voilà, il n’y a rien de pire que de consulter le programme TV, de trouver un bon film sur une chaîne hors France Télévision, TF1 ou M6, de préparer le pop-corn et de s’installer à l’heure dite, pour découvrir que le film n’est pas sous-titré. Car s’il n’est pas sous-titré, eh bien tant pis, je passe à autre chose ! Parce que ça me demandera trop d’efforts d’essayer de suivre, tout en demandant à mon entourage à intervalles réguliers : « qu’est-ce qu’il a dit ? », « qu’est-ce qui s’est passé ? », ce qui court sur le nombril de tout le monde (moi y compris) assez rapidement.

J’ai appris récemment, grâce à l’excellent article d’Emmanuelle de Mon Accessibilité Sourde, que la loi prévoit que seules « les chaînes dont l’audience moyenne annuelle est supérieure à 2,5% de l’audience totale des services de télévision rendent accessible la totalité de leurs programmes ». Cela signifie que si on veut regarder quelque chose sur NT1, Arte ou autre, eh bien on a de grandes chances (entre 40 et 80% de chances) de tomber sur un programme non sous-titré.

Or, qui dit programme non sous-titré dit : je zappe.

Et c’est vraiment dommage quand je me faisais une joie de regarder un programme, un documentaire ou un film d’art et d’essai sur Arte par exemple. Et puis, ça m’énerve (surtout quand c’est sur Arte ! COMMENT ?! La culture ne m’est pas accessible !? AAAARGH !!). En général je grommelle puissamment, tout en changeant de chaîne. C’est vrai que tous les programmes devraient être disponibles en audiodescription ET avec les sous-titres !

Mais même quand il y a les sous-titres, cela peut être difficile. Par exemple, quand un programme ou film contient vraiment beaucoup de paroles. Le temps de lire les sous-titres, et on n’a pas eu le temps de voir l’image, et du coup on n’a pas une compréhension totale de ce qui se produit. J’ai la chance de lire vite, et du coup cela m’arrive très rarement de ne pas parvenir à suivre l’histoire parce que la lecture des sous-titres est trop prenante, mais cela peut arriver ! Il arrive aussi que les sous-titres soient mal programmés, et qu’ils disparaissent avant qu’on ait eu le temps de les lire.

Et puis, il y a les fois où les sous-titres, pour une raison ou pour une autre, cachent la moitié de l’image. Charmant !

Après, il y a aussi les émissions en direct, qui sont donc forcément sous-titrées en direct. Outre l’orthographe (voire la grammaire) quelquefois fantaisiste (on les comprend, le métier de sous-titreur en direct ne doit pas être évident), le manque de synchronisation est souvent gênant. C’est difficile de suivre un reportage si les sous-titres ne correspondent absolument pas à l’image. J’ai donc tendance à éviter au maximum les programmes en direct. Si vraiment j’ai envie d’en suivre un, j’enlève les sous-titres et je mets mon casque télé, qui me permet encore de suivre plus ou moins, même si c’est beaucoup plus fatigant qu’avec les sous-titres (et que j’en loupe certainement la moitié).

Dans la grande majorité des cas, tout de même, les sous-titres me rendent un contenu accessible, alors que sans cela je n’aurais pas pu le suivre. Et il n’y a pas qu’à la télévision que les sous-titres sont importants : au cinéma, par exemple, le son des bruitages a tendance à recouvrir le son des voix. Si le film est sous-titré, plus de problème ! Malheureusement, ce sont souvent les films étrangers qui seront sous-titrés, et non les films français. J’ai découvert au Canada qu’il existe des dispositifs qui permettent à un malentendant d’avoir accès aux sous-titres de n’importe quel film, quel que soit sa langue. Hélas, je n’ai encore pas trouvé de cinéma qui propose ce système en France (encore moins dans ma petite ville de province…).

Au théâtre ou à l’opéra aussi, les sous-titres (ou sur-titres) sont très utiles. A Montréal, les opéras sont sur-titrés en français et en anglais, alors que le texte est chanté en italien ou en allemand, par exemple. Cela permet à tout le monde de suivre l’histoire sans avoir à tenter de lire le livret au fur et à mesure. Si les pièces de théâtre étaient sur-titrées sur un écran au dessus de la scène, par exemple, j’irais bien plus souvent au théâtre. Parce que dans l’état actuel des choses, payer entre 20 et 40 euros pour ne pas être sûre de comprendre ce dont on parle, cela me tente moyen.

Et puis, bien sûr, pour toutes les vidéos sur internet, les sous-titres c’est ultra utile !! Mon conseil : si vous faites un blog vidéo, une chaîne YouTube, ou n’importe quelles vidéos sur internet, sous-titrez les !! Parce que les sous-titres automatiques, c’est souvent du grand n’importe quoi, surtout si la personne qui parle n’a pas une diction parfaite. Et sans sous-titres, eh bien… il y a un tas de gens qui n’auront pas accès à votre vidéo.  Imaginez, rien qu’en France, il y a 7 millions de personnes malentendantes ! Autant vous dire qu’en rajoutant simplement des sous-titres, votre vidéo, votre programme de formation en ligne ou autre support en ligne pourra parler à bien davantage de personnes !

En tout cas, j’apprécie beaucoup les vidéos sous-titrées, quel que soit leur support. Parce que le simple geste de sous-titrer des paroles est une preuve de respect pour moi, et pour tous ceux qui entendent mal.

 

Cla-quée ! Ou l’épuisement d’entendre mal

Fa-ti-guée ! Ou l'épuisement lié à la perte auditive

Avez-vous déjà passé quelques jours ou semaines dans un pays étranger pour en apprendre la langue ?

Vous vous levez le matin, plein d’entrain, prêt à parler et à écouter une langue étrangère toute la journée. Les premiers échanges, dans la matinée, se passent plutôt bien, mais vous vous rendez vite compte qu’au fur et à mesure que le temps passe, vous avez de moins en moins d’énergie. Chaque interaction demande votre concentration totale, autant pour essayer de comprendre ce qui est dit que pour tenter d’y répondre. Vers la fin de l’après-midi, vous vous sentez décrocher des conversations de plus en plus souvent, jusqu’à être en mode zombie dès le début de la soirée. Et il arrive même peut-être un stade où vous évitez les autres autant que possible, parce que vous n’avez plus assez d’énergie pour communiquer.

Eh bien, être malentendant, c’est un peu pareil, sauf que c’est ce qui se produit avec notre langue maternelle et que, contrairement à l’apprentissage d’une langue étrangère, cela va rarement en s’améliorant avec le temps et la pratique.

Parce que voilà, à chaque fois que quelqu’un me parle, je mobilise toute ma concentration pour comprendre ce qui est dit. Je regarde mon interlocuteur avec autant d’intensité que s’il s’agissait d’une de ces images en 3D qu’on ne peut voir qu’en fixant le regard à travers le dessin. Et malheureusement, tout comme pour ces dessins en 3D, je ne parviens pas toujours à déchiffrer le message sans hériter d’un bon mal de tête.

Bien sûr, certaines conditions compliquent la communication : le bruit environnant par exemple, une personne qui parle en bougeant ou en me tournant le dos, parler à quelqu’un à contre-jour, ou tenter de démêler une conversation de groupe sont autant de facteurs qui vont rendre la compréhension difficile, et qui me demanderont encore plus d’efforts, tandis que si la personne me parle en me regardant, le visage éclairé, face à moi, proche de moi et en articulant bien, cela sera plus facile pour moi.

Mais toutes les interactions me demandent de l’énergie, même quand elles se produisent dans d’assez bonnes conditions. Peut-être parce qu’il me faut tous mes neurones disponibles pour faire le lien entre les mots que j’entends et le contexte, et ainsi deviner ce qui m’échappe forcément.

C’est pour cette raison que j’ai du mal à passer de grands moments à discuter. Quand je retrouve des copains au café, il y a toujours un moment où je décroche et je pars dans mes pensées. Cela me permet de me reposer un instant avant de repartir dans une discussion.

Pareil si je suis invitée à un dîner.

Ou si des amis me rendent visite.

Ou si j’ai une réunion de famille.

Ou si je participe à une rencontre dans le cadre d’un réseau professionnel.

Ou pour toutes les occasions où je suis avec des gens pendant plusieurs heures, vraiment.

C’est aussi pour cela que j’ai besoin de silence. J’écoute rarement de la musique en travaillant, parce que cela me fatigue trop. Quelquefois je mets juste mon casque sur les oreilles, pour m’isoler, mais sans son.

C’est un peu comme si j’avais une barre d’énergie pour toute la journée, et qu’elle se vide au fur et à mesure des interactions et de la concentration qui m’est demandée. Quand elle est vide, je ne suis plus capable de tenir une conversation.

Cette dose d’énergie quotidienne ne semble pas avoir la même contenance d’un jour à l’autre. Comme tout le monde, il y a des jours où je me fatigue plus vite et d’autres où j’ai l’impression d’être une super-héroïne de la concentration.

Pendant longtemps j’ai culpabilisé. Cela m’ennuyait beaucoup de décrocher au milieu d’une conversation, ou de ne plus être capable de comprendre quelqu’un au bout d’un moment.

Et j’ai toujours un peu peur que les gens se méprennent sur les raisons de mon mutisme soudain, ou de mon départ prématuré, ou de ma non-participation aux discussions de groupe. Et il est possible que certaines personnes le prennent mal, ou pensent que je suis de mauvaise humeur/froide/distante/désagréable.

Alors j’essaie d’expliquer, avant de partir, quand la situation s’y prête. Histoire que la personne ne pense pas que c’est elle qui me saoule, quand c’est mon corps qui me lâche.

Et les gens comprennent, le plus souvent.

Il suffit de le dire, finalement.

 

Entendre, ou comprendre ?

oreille-écoute

Un audiogramme, c’est simple.

Prenez six fréquences des graves aux aigus, voyez à quel nombre de décibels chaque fréquence est perçue, et voilà.

Mais quand on est dans le cagibi, en train de passer le test, le casque sur les oreilles, ce n’est pas si facile de dire à quel moment on entend chaque fréquence.

Le médecin fait tourner sa molette, l’oeil de plus en plus inquiet au fur et à mesure qu’il la tourne, tandis qu’on reste inerte sur le fauteuil, à se demander si le vague couinement qu’on entend est un acouphène ou si c’est bien la fréquence qu’on est censé entendre.

Après ce test-là, on sait si on a perdu 10, 20 ou 50 % de son audition, grâce à un calcul savant d’après un algorithme, qui apparaît en petit sur un coin de la feuille.

C’est rassurant de pouvoir mettre un chiffre sur son audition.

J’ai perdu 30%, ou 50% des deux oreilles. 80% d’une oreille, 30% de l’autre. Cela semble vouloir dire quelque chose, et notre interlocuteur va faire un Oh ou Ah plein d’empathie, et on aura l’impression d’avoir été compris.

Audiogramme

Un exemple d’audiogramme. Les deux graphiques du haut : fréquences pour oreilles gauche et droite (les fréquences sont en haut, en Hz, les dB sur le côté. On lit donc : le son de 500 Hz est perçu à 60dB d’une oreille et à 50dB de l’autre). En bas à gauche : pourcentage de perte calculée d’après un algorithme obscur. En bas à droite : résultats du test de compréhension (les dB sont en bas, les pourcentages sur le côté. On lit : 100% de mots compris à 70 dB, 0% à 40 dB).

Mais en fait, cela ne signifie pas grand chose.

Car ce qui importe, ce ne sont pas les sons que l’on perçoit.

Ce sont les mots que l’on comprend.

Et cette compréhension est aussi testée lors d’un audiogramme. C’est d’ailleurs la partie du test que je redoute le plus.

Des mots sont prononcés par une voix d’homme ou de femme, dans une oreille, puis dans l’autre, d’abord tout doucement, puis de plus en plus fort, et on doit les répéter. Ou du moins, on doit répéter ce que l’on comprend.

Il y a certains mots que je ne comprends pas du tout : impossible de répéter quoi que ce soit. Puis, le son augmente, et il y a certains mots que je crois comprendre, mais je n’en suis pas sûre. Je répète, mais entre le vallon et le ballon, le poteau et le bouton, ce n’est pas évident. Alors je choisis un mot et je le dis, sachant que c’était peut-être l’autre en fait (ou un troisième auquel je n’aurais pas pensé).

Une difficulté supplémentaire provient du fait que les mots ne sont pas tous dans le même registre linguistique, et que certains sont vieillots ou peu usités (par moi en tout cas). Une liste type peut inclure des mots comme « le tripot », « le saindoux », « le bambin », « le défi », et « le brigand ». Qui parle encore de tripot et de brigand dans le langage courant ? Du coup, la tendance est forte, même si j’ai bien entendu le mot, de le modifier pour dire quelque chose de plus acceptable dans le langage courant.

Ce test-là montre vraiment ma compréhension auditive à l’état brut.

Plus on est malentendant, et plus il faut de décibels pour qu’on parvienne à comprendre ces mots correctement (sans aide visuelle, bien sûr). Et on arrive à un stade où, même avec un volume élevé, on ne comprend pas tous les mots.

Après, j’ai de la chance. Ma compréhension est plutôt bonne. Ce qui fait que je peux avoir une conversation avec quelqu’un, dans un milieu calme, sans appareils. (Et des fois je les oublie, sauf que quand je me retrouve en ville ou dans un environnement bruyant, je le regrette bien…)

D’autres personnes, avec une perte similaire à la mienne, peuvent n’avoir aucune compréhension sans leurs appareils. Et peut-être que d’autres s’en sortent encore mieux que moi sans appareils !

Pourquoi cette différence ?

Aucune idée.

Peut-être que c’est plus facile de garder une meilleure compréhension si on se fait appareiller le plus tôt possible. Plus la surdité est importante au moment de l’appareillage, et plus c’est difficile pour le cerveau de s’adapter à un volume d’audition « normal ».

J’imagine aussi qu’un cerveau plus jeune aura moins de mal à garder l’élasticité nécessaire à la compréhension qu’un cerveau plus âgé.

Mais en fait, les raisons de cette différence m’échappent. Chaque surdité est différente, c’est sûr, et cela affecte énormément la capacité de compréhension, qui va varier d’une personne à l’autre.

Une chose est sûre, ce n’est pas parce que j’entends un son que je le comprends.

Il y a des jours où ma compréhension est moins bonne que d’autres. Ma moitié me fait alors remarquer que j’entends vraiment mal, ce jour-là. Mais en fait, ce n’est pas que j’entends mal, c’est que je comprends mal. Du son parvient à mes oreilles, mais pas les mots. C’est comme si on me disait quelque chose du genre : « Glou biblou bam ripe ». Aucun sens.

Quelquefois, c’est parce que j’ai plus d’acouphènes ce jour-là, et j’ai l’impression d’avoir la tête dans un brouillard. Ou bien, je suis fatiguée, ou préoccupée, et j’ai du mal à me concentrer. Et il y a des jours où je n’ai aucune idée de la raison, mais je comprends juste vraiment moins bien.

Quand on perd l’audition, c’est la compréhension qui part en premier. On a l’impression, tout à coup, que tout le monde marmonne ou parle dans sa barbe. C’est pour cela qu’on ne se rend pas compte qu’on a perdu de l’audition (et qu’on accuse les autres, en passant) !  Parce que les sons, on les entend toujours ! Mais leur sens est de plus en plus difficile à décoder.

Et vous, quelle est votre expérience de la perte auditive ? Comment percevez-vous les sons ? Ou comment avez-vous remarqué qu’un de vos proche avait perdu de l’audition ?

Ce traumatisme sans cesse renouvelé

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Tu t’étais habitué à ta perte d’audition.

Tu t’étais habitué à mettre tes appareils auditifs tous les matins.

Tu t’étais même habitué aux moments où il faut faire répéter cinq ou six fois pour ne pas comprendre malgré tout.

Tu avais trouvé un nouvel équilibre, tu t’étais adapté.

Et là, tout recommence.

On te dit de plus en plus que tu fais beaucoup répéter. On s’en étonne. Tu grimaces à chaque fois.

Tu ne reconnais plus les chansons que tu reconnaissais avant, et la musique ne ressemble plus à rien.

Ou peut-être que tu sors d’un spectacle qu’il y a peu de temps, tu aurais pu suivre. Mais tu n’as rien compris. Pas un mot. Ou plutôt si, un mot ici et là, mais pas assez pour comprendre la trame de l’histoire. Tu ressors les larmes aux yeux, la colère au ventre. Tu as envie de hurler.

Et là, tu vas chez l’ORL pour faire un nouvel audiogramme.

Et c’est confirmé.

Tu as perdu encore 5, 10, ou 20% de ton audition déjà défaillante. Ou peut-être plus.

Tu lèves la tête vers le médecin, espérant recevoir un message d’espoir, la nouvelle d’une avancée médicale qui pourrait réparer tout ça, ou même simplement du soutien. Mais le médecin sourit vaguement d’un air gêné, et reste aveugle à tes yeux embués, et à ta voix qui se casse au beau milieu de ta question :

« Mais alors, il n’y a rien à faire ? »

Eh non, il n’y a rien à faire. Simplement retourner voir ton audioprothésiste, augmenter les réglages de tes appareils, et recommencer cette #@*% de phase d’adaptation qui est si pénible, à chaque fois.

Cette expérience, je l’ai vécue deux fois déjà. Une perte de 20% à chaque fois, par rapport à l’audiogramme précédent.

L’estomac qui semble faire un saut à l’élastique, l’émotion qui étrangle, je l’ai ressenti à chaque fois. L’impression que c’est la fin, peut-être. Que plus rien ne pourra être bien après ça. Que tout ça n’en vaut plus la peine.

Et puis je suis allée chez mon audioprothésiste.

J’ai fait régler mes appareils.

Je me suis réhabituée.

C’est vrai que le moment de la nouvelle est vraiment difficile.

Une impression de se faire engloutir par les abysses. La tête sous l’eau, sans pouvoir remonter pour prendre l’air.

La chance que j’ai eue, et que j’ai toujours, c’est d’être bien entourée.

Le fait de me rendre compte que mon couple est solide, et que ma perte auditive ne sera pas la cause d’une déchirure, déjà, c’est énorme.

Et aussi la présence de ma famille et de mes amis.

Et enfin, la confiance en moi. Cette petite voix intérieure qui m’assure que quoi qu’il arrive, je trouverai comment faire face. Que j’ai assez de créativité, assez de résilience et assez de soutien pour rebondir, cette fois encore.

L’espoir que la technologie va continuer à progresser, et que bientôt, j’aurai une application sur mon téléphone qui me permettra de téléphoner avec des sous-titres en temps réel. Bientôt.

Et puis, finalement, cette période passe, et je m’habitue.

Je m’habitue à la perte d’audition.

Je m’habitue à mettre mes appareils auditifs tous les matins.

Je m’habitue même aux moments où il faut faire répéter cinq ou six fois pour ne pas comprendre malgré tout.

Et je recommence à voir de la beauté autour de moi, à ressentir l’exaltation d’avoir des projets, et la joie d’être en vie.

Non pas UNE, mais DES surdités

oreille barrée

 

J’ai lu beaucoup de commentaires, retours et témoignages de sourds et malentendants, ces derniers temps.

Et une chose m’a beaucoup frappée : nos différences !

Certains sont nés sourds ou malentendants. D’autres le sont devenus.

Certains ont une surdité légère, moyenne, tandis que d’autres sont atteints d’une surdité sévère, profonde ou totale.

Certains communiquent en langue des signes. D’autres non.

Certains écoutent ou font de la musique. D’autres non.

Certains peuvent suivre un film au cinéma sans sous-titres, d’autres ont plus de mal et pour d’autres encore, c’est complètement impossible.

Certains fréquentent une communauté majoritairement composée d’autres personnes sourdes. D’autres ne connaissent aucune autre personne qui entende mal, et ne sont entourés que de personnes entendantes.

Certains sont entre les deux. Nés sourds, mais oralistes, et peu à l’aise en langue des signes.

Ou devenus malentendants, mais préférant la langue des signes à une communication orale devenue trop difficile avec leur communauté entendante d’origine.

Certains pratiquent la lecture labiale constamment, tandis que d’autres la rejettent, ou ne parviennent pas à lire sur les lèvres de façon assez performante pour vraiment s’en servir.

Certains sont à l’aise avec leur surdité, et la considèrent comme une identité plutôt que comme un handicap. D’autres se sentent diminués, isolés, en deuil.

Et tout cela semble dépendre d’une multitude de facteurs.

Le fait d’être né sourd ou malentendant, ou de l’être devenu plus tard en est un, et pas des moindres.

La personnalité des gens, aussi, qui va faire que la personne va se sentir plus militante, plus résiliente, ou plus timide, effacée ou déprimée.

Leur situation sociale et familiale, leur environnement vont avoir une influence.

L’éducation fait également la différence. Si on a appris la LSF dès son plus jeune âge, ou si on l’a apprise plus tard, ou pas du tout. Si on a fait un parcours scolaire dans le public, avec des personnes entendantes, ou si on a été éduqué dans des écoles spécialisées.

Et puis, la perception auditive de chaque malentendant est différente ! Moi, j’ai perdu surtout des médiums. Les sons que j’entends sont déformés d’une certaine façon qui est propre à ma surdité. Une personne qui a perdu davantage d’aigus, ou de graves, aura une expérience auditive complètement différente.

Certaines personnes se sentent bien dans des milieux bruyants, alors que c’est insupportable pour d’autres.

Chacun réagit différemment à son environnement. Certaines personnes trouvent que les autres ne font pas assez l’effort de les inclure, tandis que d’autres personnes ont tendance à s’isoler d’elles-mêmes, ou à culpabiliser d' »embêter les autres avec leur handicap ».

La gamme de vécus différents est incroyablement vaste !

Et les réactions à ces vécus sont tout aussi diverses.

Quand on dit que LA surdité n’existe pas, mais qu’il y a DES surdités, c’est vraiment rien de le dire.

Et malgré tout, à travers ces différences, nous nous retrouvons.

Sur une expérience, un ressenti, une émotion.

Et à cette occasion, nous sortons de NOTRE surdité, notre expérience propre, pour toucher à quelque chose de plus universel.

Car certaines réactions par rapport à ce blog m’ont montré que vraiment, ce que je partage depuis la situation particulière dans laquelle je me trouve peut toucher bien d’autres personnes, y compris celles qui vivent quelque chose de très différent !

De ces découvertes de diversité, je garde une profonde humilité par rapport à mon expérience. Ce que je vis est unique, et je ne peux pas parler au nom de tous. Je ne peux que partager mon témoignage, mes découvertes, mes questionnements. Certaines personnes, qu’elles soient sourdes, malentendantes ou entendantes, se retrouveront dans ce que j’écris. D’autres non.

Et c’est peut-être très bien comme ça.
 

 

Perte d’audition : le casse-tête de la communication avec les enfants

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Vous êtes dans la rue, vous marchez tranquillement, sa petite main dans la vôtre, quand soudain, elle se met à vous tirer le bras. Vous regardez vers le bas pour comprendre ce qui se passe, et vous voyez son visage levé vers le vôtre. Et catastrophe : elle vous parle ! Impossible de comprendre un mot de ce que votre petite fille vous dit, entre le brouhaha des voitures, le bruit des pas, les conversations du café avoisinant, etc.

La solution serait de vous arrêter, de vous accroupir à son niveau, pour pouvoir vraiment comprendre ce qu’elle vous dit. Alors vous le faites, vous vous arrêtez, vous regardez autour de vous pour ne pas vous mettre au milieu du chemin, vous posez vos sacs par terre, vous vous baissez, vous rattrapez votre sac à main qui glisse le long de votre épaule, vous la regardez, vous lui dites : « Qu’est-ce qu’il y a, ma chérie ? »

Et là elle vous dit quelque chose du genre : « Tu as vu l’arbre ? Il avait plus de feuilles ! »

Bon, c’est mignon, et tout, mais vous êtes pressée, vous avez encore des courses à faire à l’épicerie, et vous avez juste le temps de les faire avant le rendez-vous chez le docteur. Vous expliquez donc patiemment : « Oui, c’est vrai, mais là il faut qu’on se dépêche, Léonie. Sinon on va être en retard chez le docteur. »

Son petit visage devient tout sérieux, et elle hoche la tête. Vous vous relevez, rattrapez vos sacs et sa main, équilibrez le tout comme vous le pouvez, et trois pas plus loin, même chose.

Alors vous avez le choix : soit vous ignorez le discours de l’enfant complètement, faisant comme si elle n’avait pas parlé ; soit vous lui dites, sans essayer de comprendre ce qu’elle dit : « Tu me parleras tout à l’heure, ma puce. Là il faut qu’on y aille, vraiment ! » ; soit vous vous arrêtez à nouveau pour l’écouter, et vous vous mettez un peu plus en retard. Mais si vous choisissez d’ignorer ce qu’elle dit, et qu’en fait elle a un besoin urgent de faire pipi, ou un caillou dans la chaussure, ou autre, cela peut avoir des conséquences assez ennuyeuses, entre les vêtements et chaussures mouillés, et le hurlement de douleur accompagné de pleurs impossibles à calmer.

C’est compliqué, la communication avec les enfants, quand on entend mal.

Et ce, pour plusieurs raisons.

  • Le langage peu compréhensible

Tout adulte aura du mal à comprendre un petit enfant qui est en train d’apprendre à parler, sauf peut-être les parents dudit enfant (et encore).

Pour un adulte qui entend mal, c’est pire !

Un enfant qui est en phase d’apprentissage du langage a souvent du mal à prononcer certains mots ou certains sons. Il peut aussi remplacer certains sons par d’autres, ou avoir des difficultés à articuler.

Certains enfants parlent malgré tout très vite, avalant la moitié des mots au passage, produisant ainsi ce baragouinage adorable qui terrifie la personne malentendante à qui l’enfant s’adresse, et ce pour une bonne raison : c’est incompréhensible !

D’où la tendance, peut-être, à se tourner vers les parents de l’enfant pour demander une traduction. Mais si on se trouve être le parent malentendant de cet enfant, c’est plus compliqué…

  • Le timbre de voix

Un enfant a une voix plus aiguë, plus haut perchée.

Pour peu qu’on ait justement perdu ces fréquences-là, cela devient vraiment difficile de comprendre ce que l’enfant dit.

  • La taille de l’enfant

Par essence, un enfant est, en général, plus petit qu’un adulte.

Bien plus petit, dans certains cas.

Or, nous avons besoin que la personne parle assez près de nos oreilles (et de nos yeux), si nous voulons avoir une chance de comprendre ce qui est dit.

Si la voix vient d’une hauteur située entre nos genoux et notre taille, c’est vraiment compliqué !

Ca va si tout le monde est assis, et donc assez proche, ou si on est assis et que l’enfant est debout. Mais si tout le monde est debout (et, encore pire, en mouvement, en ville, ou dans un environnement bruyant), alors là, ça devient vite mission impossible !

  • Les mouvements

La plupart des enfants sont quasiment tout le temps en mouvement. Et ils s’arrêtent rarement de bouger pour parler !

Du coup, un enfant va facilement commencer une phrase en nous regardant, et la finir en nous tournant le dos parce qu’il a vu un pigeon, ou tout simplement qu’il est en train de courir autour de nous.

Mais une personne malentendante a besoin que les paroles soient dites sans bouger, autant que possible, pour faciliter le positionnement des oreilles (et des appareils le cas échéant) par rapport au son, ainsi que la lecture des lèvres et des expressions du visage, qui aide toujours énormément à la compréhension.

  • Les « secrets »

Je ne sais pas pourquoi, mais quand on est enfant, on aime bien murmurer des secrets à son parent ou à ses amis adultes (ou enfants).

On cache sa bouche avec sa main, on colle la bouche et la main à l’oreille de l’adulte, et on chuchote le message que l’on veut faire passer.

Et pour un malentendant, cette configuration relève du cauchemar pour la compréhension.

En gros, on entend : « Eh ! Je vais te dire un secret ! »

Puis : « Pchi pchi pchi pchi pchi. »

Et allez-y, essayez de dire à un enfant de vous dire son secret en parlant assez fort, en articulant bien et en vous regardant bien en face. Eh oui, ça n’a plus grand chose d’un secret !

 

L’appréhension de devoir communiquer avec des enfants a déjà pu me faire paniquer. J’aurais tendance à m’extraire ou me soustraire aux occasions où c’est nécessaire.

Mais au final, je me suis rendu compte qu’il suffit de leur expliquer que j’entends mal, et que j’ai besoin qu’ils fassent un effort pour me parler. Ensuite, je les fais répéter quand je ne comprends pas, et ça se passe plutôt bien !

Le plus important, c’est de ne pas les ignorer ou faire comme s’ils n’avaient rien dit (ce qui n’est pas toujours possible, quand je n’ai pas entendu qu’ils parlaient, par exemple). Et à partir du moment où il y a du respect dans les deux sens, toutes les difficultés peuvent être surmontées.

Et vous, comment gérez-vous la communication avec les enfants ? Et comment les enfants de votre entourage gèrent-ils cette difficulté ?

 

David Lodge ou la fiction des problèmes d’audition

2015-05-22 20.03.48

J’ai lu La vie en sourdine pour la première fois peu après sa sortie, en 2008 ou en 2009.

Cette fiction d’un professeur de linguistique malentendant à la retraite m’avait beaucoup parlé. Enfin un roman qui parlait de ce que je vivais au quotidien (le côté malentendant, hein, pas la retraite encore…) !

Que ce soit les moments où les piles des appareils tombent en panne, les façons diverses et variées que l’on imagine pour bluffer, faire comme si et d’une façon générale donner le change, ou les quiproquos qui peuvent en découler, tout était abordé !

L’écriture délicieuse de David Lodge, avec sa touche habituelle d’humour, sonnait juste. Porté par le vécu de l’auteur, qui a quitté l’université lui aussi vers l’âge de 52 ans pour se consacrer à l’écriture, mais aussi en raison de ses problèmes d’audition, le roman parle des ressentis liés à la perte d’audition avec une légèreté pleine de gravité.

Comme le dit Desmond, le personnage principal,

« la surdité est une sorte d’avant-goût de la mort, une très lente introduction au long silence dans lequel nous finirons tous par sombrer ».

C’est ainsi que, tout en faisant sourire, l’auteur évoque des thèmes tragiques, comme le handicap, la vieillesse et la mort.

Le moment délicat où le père de Desmond est pris d’une envie pressante sur l’autoroute, et ne parvient pas à arriver aux toilettes à temps, tout ça en raison d’un malentendu dû aux problèmes d’audition de part et d’autre, montre bien ce côté comique empreint de sérieux.

Les situations difficiles sont abordées avec légèreté, et les comportements dû à la perte auditive ressortent d’autant mieux :

Que ce soit la réticence initiale de Desmond à aller à ses cours de lecture labiale, ou sa réaction de parler pour ne pas avoir à écouter quand ses piles d’appareils auditifs lâchent juste avant une soirée, et jusqu’à la petite phrase coquine murmurée à l’oreille de sa femme qui est chuchotée trop fort pour que les autres convives n’en profitent pas aussi (mettant ainsi sa femme dans l’embarras).

C’était le premier roman que je lisais où tout était vu à travers le filtre de la perte d’audition. Et j’avais été enthousiasmée.

Je suis en train de le relire, et je me rends compte à quel point mon point de vue a changé en six ou sept ans.

Le roman est toujours bon, et drôle.

Le narrateur sait prendre la distance nécessaire avec son handicap pour en montrer les côtés amusants, qui touchent au ridicule.

 

Cependant, quelques éléments m’ont semblé incohérents à la deuxième lecture, alors qu’ils ne m’avaient pas sauté aux yeux la première fois.

En particulier le personnage qui, au milieu d’un environnement bruyant, tente d’écouter son interlocutrice en rapprochant son oreille de sa bouche, et en plongeant le regard dans son décolleté : peu probable. L’effet est amusant, mais il me semble qu’une personne malentendante aurait tendance à fixer la bouche de l’autre, peut-être en se rapprochant de façon presque gênante, mais pas à se couper du soutien visuel de la compréhension qu’est la lecture sur les lèvres (et ce, même si la personne n’a pas reçu de cours de lecture labiale. La compensation visuelle se fait automatiquement).

Et j’ai eu plus de mal avec certains termes employés. En effet, le narrateur se moque volontiers de lui-même, un « sourdingue », « dur de la feuille » qui va finir par être « sourd comme un pot ». Bien sûr, il s’agit là du parti pris de l’auteur, qui raconte l’histoire avec les mots de Desmond, son narrateur, qui dit lui-même que « La surdité est comique, alors que la cécité est tragique. » Mais peut-être que les mots choisis par les traducteurs sont un peu vieillots, et ce côté désuet rend la moquerie plus amère pour moi.

En relisant le roman, je découvre jusqu’où mon rapport avec ma surdité a évolué. A l’époque, j’en étais au tout début de mon cheminement, et j’avais beaucoup de mal à assumer ma perte auditive. Le livre avait eu l’effet d’une bouffée d’air frais, et j’en avais bien besoin.

Maintenant, j’assume de mieux en mieux. Ce n’est pas parfait, et il m’arrive encore de bluffer, mais de moins en moins. Et j’ai moins besoin de la bouffée d’air frais.

Du coup, je suis plus critique, je remarque plus rapidement les éléments qui me gênent. La lecture de La vie en sourdine en devient un peu moins délicieuse que la première fois.

Je recommande toujours chaudement ce roman, qu’il serait dommage d’ignorer. Et je serais intéressée, si vous l’avez lu, de savoir ce que vous en avez pensé.

Avez-vous lu d’autres romans ou livres ou vu des films qui abordent le thème de la malentendance ou de la surdité ? Vous y êtes-vous reconnus ? Qu’en avez-vous pensé ?

 

Comment ça ? Moi ? Je parle trop ?

 

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Il y a quelque temps, une connaissance me disait :

De toute façon, les malentendants parlent tout le temps ! Ils veulent toujours être au centre de l’attention et ils n’écoutent jamais.

Et ensuite, le coup de grâce :

C’est le cas de tous ceux que je connais !

Ouille…

Difficile pour moi de ne pas le prendre personnellement. Parce que je suis dans le même panier que tous ceux dont cette personne parle…

Vraiment ? Je parle tant que ça ? Je ne suis pas capable d’écouter ?

Puis, la personne a rajouté :

Peut-être que c’est plus facile pour eux de parler que d’écouter, et que c’est pour ça…

Alors j’ai eu envie d’écrire cet article.

Parce que, oui, il m’arrive d’avoir des comportements qui sont ou peuvent être mal perçus. Et c’est souvent bien malgré moi.

  • Parler pour ne pas écouter

Il y a en effet les situations où je parle parce que ça m’évite d’avoir à faire un effort incroyable pour entendre.

Mais en fait c’est plutôt rare. Les moments où je parle beaucoup sont plus souvent les moments où j’ai quelque chose à dire, quelque chose qui m’exalte assez pour en parler avec animation.

Il y a aussi de nombreux moments où je reste en retrait dans une conversation, soit parce que je n’arrive pas à suivre, en effet, mais aussi parce que je n’ai pas forcément de choses à rajouter à la conversation, ou alors, mais oui, ça arrive aussi, simplement parce que j’écoute les autres.

Ce n’est pas facile pour moi d’écouter. Cela me demande un gros effort de concentration. Et je n’y arrive pas tout le temps, d’autant moins quand je suis dans une situation de groupe.

Mais je fais souvent cet effort malgré tout.

  • Interrompre les autres

Il y a aussi les moments où j’interromps les gens sans faire exprès

Ça arrive dans un groupe, si je ne me rends pas compte qu’une personne est déjà en train de parler, et je démarre une conversation par dessus.

Il y a aussi certaines personnes que je n’entends vraiment pas, soit en raison de la  fréquence de leur voix, ou parce qu’elles n’articulent pas et parlent très doucement (ou un mélange des deux), et je ne me rends même pas compte qu’elles sont en train de parler !

En général, une bonne âme m’arrête pour me dire que quelqu’un était déjà en train de parler, et je me tais, la honte au front, après m’être confondue en excuses.

Si personne ne me dit rien, je vois en général à la tête des gens que j’ai fait une gaffe, et je me rends compte assez vite de ce qui se passe.

Cela fait partie des situations les plus difficiles à assumer pour moi, parce que je n’aime pas heurter les autres, et je le fais bien involontairement.

  • Parler trop fort

Cela m’arrive souvent d’être en train de parler à quelqu’un, et la personne fait un geste de la main avec une grimace pour me demander de baisser le volume.

Je me rends alors compte que j’étais en train de parler très fort, dans une situation où c’était peut-être un peu gênant (pour moi et/ou pour l’autre).

Ce n’est pas évident pour moi de contrôler le volume de ma voix. J’ai tendance à parler aussi fort que j’aimerais qu’on me parle, j’imagine, et c’est trop fort pour la plupart des gens.

Il me semble aussi que quand la personne en face de moi parle particulièrement doucement, j’ai tendance à hausser la voix, comme si cela pouvait entraîner l’autre à en faire de même.

Malheureusement, non seulement ça ne marche pas, mais ça embête ou gêne l’autre, et je finis par me sentir très embarrassée de ma voix.

  • Chuchoter trop fort

C’est une variante du point précédent… C’est difficile pour moi d’avoir une conversation privée alors que je suis entourée de personnes qui ne sont pas censées l’entendre. Parce que si je parle vraiment au volume de chuchotement typiquement admis, je ne m’entends pas. Ce n’est donc pas naturel pour moi.

Quant à entendre la réponse de l’autre…

En conséquence, le petit commentaire murmuré à l’oreille de l’ami alors que tout le monde est silencieux devient vite source de fou-rire général. Parce que bien évidemment, tout le monde l’aura entendu.

Heureusement, j’assume mes commentaires la plupart du temps et je ris de bon cœur avec les autres quand ça se produit, mais cela peut vite devenir très gênant. (Je n’ai qu’à pas faire de commentaires en aparté, me direz-vous. Certes.)

Difficile aussi pour une autre personne de me dire quelque chose en privé alors qu’il y a d’autres gens autour. Je ne comprends jamais un murmure du premier coup, et plus je demanderai de répéter, plus cela attirera l’attention des autres. Autant pour la petite confidence partagée facilement, en passant.

  • Répondre à côté

C’est moins embarrassant, et plus flagrant, mais une mauvaise compréhension de la conversation qui se déroule, ou de la situation peut m’amener à répondre ou à réagir complètement à l’envers de ce qui est attendu.

La plupart du temps, mon entourage rétablit bien vite la situation, m’expliquant ce qui s’est réellement dit, pour que je puisse m’ajuster, mais ce n’est pas toujours évident d’accepter avec grâce le fait que je viens de mettre les pieds dans le plat, ou d’être complètement à côté de la plaque.

Toujours cette histoire de ridicule, décidément !

Et vous, quelles sont vos situations embarrassantes, que vous soyez malentendant, sourd ou entendant ? Avez-vous aussi des comportements qui choquent ou heurtent les autres involontairement ? Comment réagissez-vous à ces situations ?

Perte d’audition : la question de l’identité

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Je me suis posée beaucoup de questions sur ce sujet, ces derniers temps.

Qui suis-je, moi qui perds l’audition ? Mon handicap me définit-il, au moins en partie ?

A partir de quel moment la perte d’audition devient-elle une partie de moi, indissociable de ce que je suis ?

La réponse à ces questions est bien sûr très personnelle, et ne sera pas la même d’une personne à l’autre.

Le fait est que, quand je rencontre quelqu’un, et si je veux que la communication se passe bien, il m’est nécessaire de parler de mon handicap, de l’annoncer, de l’expliquer. Et je deviens, aux yeux de l’autre, Armelle la malentendante, ou celle qui entend mal. C’est surtout le cas pour ceux que je connais peu ou que je viens de rencontrer. Comme si ce handicap devenait ma caractéristique principale, avant ma façon d’appréhender le monde ou ma tendance à m’intéresser à des milliers de choses à la fois.

D’un autre côté, il m’arrive fréquemment d’oublier que j’entends mal. Des fois j’en oublie même de mettre mes appareils. Comme si je n’avais pas vraiment intégré cet inconvénient que sont mes oreilles défaillantes, comme si cela me caractérisait si peu que je pouvais parfaitement ne pas en tenir compte.

Et pourtant…

 

Je trouve cette question épineuse. Qui étais-je quand j’entendais bien ? Et qui suis-je devenue maintenant que j’entends beaucoup moins bien ?

Mon identité a-t-elle changé ?

Toutes mes réponses à ces questions me semblent doubles et paradoxales.

Oui, j’ai changé. Mes réactions ne sont plus les mêmes, ma façon de percevoir le monde n’est plus la même, mes conversations sont différentes aussi. Je n’entre plus dans les discussions sur la pluie et le beau temps, ni dans le badinage sans intérêt. Je suis vite perdue dans une conversation amusante et superficielle qui fuse dans un groupe, et je préfère me concentrer sur une conversation plus profonde et significative, avec un seul interlocuteur de préférence.

 

C’est peut-être moins léger que je ne l’ai été à l’époque où la communication était facile.

C’est peut-être plus intense pour les autres, qui suivent ou ne suivent pas.

Mais en fait, ça correspond assez à qui j’ai toujours été. Il y a juste une phase d’approche en moins, et c’est plus immédiat.

Car en même temps, je suis restée la même.

Bien sûr, j’ai grandi, j’ai vieilli, mûri, et changé d’avis sur plein de choses.

Mais au fond, je suis toujours une personne qui s’intéresse aux autres, et qui n’a pas envie de rester à la surface des choses.

La perte d’audition m’a fait évoluer plus vite, m’a rendue plus directe peut-être.

Pour autant, le handicap fait-il de moi une personne plus courageuse parce que je fais, ou continue à faire, certaines choses ?

Parce que je continue à faire de la musique, coûte que coûte et malgré tout ? Parce que je continue à me mettre dans des situations où je rencontre de nouvelles personnes ? Où je parle des langues étrangères ? Où je me mets en difficulté ?

Certes, cela me demande plus d’efforts qu’à une personne qui entend bien. Mais pour moi, c’est une question de survie.

Parce que si je ne fais plus toutes ces choses, et que je reste enfermée chez moi sans faire autre chose que de regarder la télévision avec les sous-titres, je me sens couler. Et je n’aime pas cette sensation.

Alors naturellement, et même si je n’y arrive pas constamment, je fais ce dont j’ai besoin pour me sentir bien. Et je ne me sens pas particulièrement audacieuse pour autant.

En fait, il est difficile de répondre à cette question de l’identité pour la bonne raison qu’on oublie. J’ai oublié, déjà, qui j’étais avant d’entendre mal.

Peut-être que, si j’entendais bien, je parlerais moins fort, j’écouterais les autres à longueur de journée, j’irais au cinéma toutes les semaines et je serais au courant des dernières révélations musicales.

Mais cela fait maintenant 10 ans que je vis avec ce handicap. Il fait partie de moi. J’aimerais bien pouvoir dire qu’il ne dicte pas qui je suis. Et dans une certaine mesure, c’est le cas.

Mais il m’influence, il détermine certaines de mes décisions et de mes réactions, et aussi ma façon de voir les choses et de me projeter dans le futur.

Au bout du compte, il est indissociable de ce que je suis.

Bien sûr, le fait de devenir malentendante ne m’a pas complètement transformée en quelqu’un que je n’aurais jamais pu être autrement, mais cela m’a modelée, a accentué certains traits que j’avais, et en a estompé d’autres.

Et c’est maintenant une des facettes de mon identité, qui ne se résume bien sûr pas à ça !

 

Et vous, comment percevez-vous votre identité en tant que malentendant ou sourd ? Avez-vous l’impression que le handicap définit l’identité de ceux que vous côtoyez ? Ou pas du tout ?

N’hésitez pas à participer à la discussion !