Vivre avec un malentendant, ou l’apprentissage de la patience – 2ème partie

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Être conjoint de malentendant, c’est adopter un rôle complexe et pas toujours facile. En plus des frustrations liées aux éléments que j’ai évoqués la semaine dernière, comme les efforts à faire constamment pour se faire comprendre, ou les disputes qui découlent directement ou indirectement du handicap, le conjoint doit accepter une réalité lourde de sens :

Le conjoint, pour peu qu’il n’ait pas lui aussi des soucis d’audition, entend mieux que le malentendant.

C’est une lapalissade, certes.

Mais la conséquence de cet état de fait, c’est que naturellement, la personne malentendante va avoir tendance à s’appuyer sur son conjoint dans différentes situations.

Et cela peut poser problème.

  • Le conjoint-intermédiaire

Ainsi, dans les situations sociales, le conjoint va parfois devenir le traducteur ou l’intermédiaire de la personne malentendante.

En effet, c’est plus facile demander à son conjoint de répéter ce qui vient d’être dit par une tierce personne que l’on connaît peu, que de le demander directement à la tierce personne en question. Peut-être parce que faire répéter, c’est déjà un aveu de notre handicap, et qu’il faut ensuite donner des explications, et se justifier d’une partie de soi que l’on aimerait ne pas avoir à dévoiler. Pas tout de suite, en tout cas.

Et quelquefois, c’est plus rassurant de se cacher derrière son conjoint que d’assumer cette perte d’audition qui pourrait être jugée comme étant une tare ou un problème par quelqu’un que l’on ne connaît pas, ou pas beaucoup, et qui nous intimide peut-être.

De même lors de rendez-vous chez le docteur. Ou pour les appels téléphoniques que l’on reçoit. Et si l’on n’y prend pas garde, le conjoint finit par être celui qui fait le lien entre la personne malentendante et la tierce personne ou le monde extérieur.

Le problème, c’est que plus on s’appuie sur notre conjoint pour avoir accès au monde extérieur, et moins on arrive à communiquer de façon autonome. Au bout du compte, la tentation est grande d’arrêter de voir des gens, de prendre des rendez-vous, ou de faire des activités, si notre conjoint n’est pas disponible.

Et en perdant notre autonomie, on perd aussi notre force, notre respect de nous-même, notre goût de l’aventure, et notre envie d’aller vers les autres.

  • Le conjoint défenseur ou protecteur

Notre conjoint peut aussi être notre meilleur défenseur dans les situations difficiles. En particulier si quelqu’un nous juge, nous dénigre, sous-estime notre handicap ou qu’on se moque de nous de façon ou d’une autre. Son sang ne fait qu’un tour à la moindre remarque pernicieuse ou à la moindre attitude méprisante à notre égard.

Souvent, dans ces situations, on ne perçoit pas la remarque désobligeante qui nous a été adressée, ou on ne se rend pas compte de l’intention qu’il y a derrière, et on n’y réagit donc pas. Mais quand un conjoint se met à bouillir d’indignation et réagit encore plus qu’on ne l’aurait fait si on avait compris ce qui a été dit, il y a là quelque chose de profondément rassurant. Cela montre que notre conjoint est avant tout de notre côté.

Bien sûr, tous les couples ont leur histoire, et tous les conjoints ne sont pas protecteurs.

  • Ce qui peut déraper – les milieux toxiques

Dans certains couples, certaines familles ou entourages, le handicap auditif d’une personne est vu avant tout comme une source de frustration. Le malentendant peut ne pas être pris en compte comme une personne à part entière par son entourage, et on va se permettre, par exemple, de parler de lui (de façon négative) pendant qu’il est là, sachant qu’il ne comprendra pas ce qui est dit.

Le malentendant peut aussi être infantilisé. Un mari qui considère que sa femme malentendante est incapable d’aller à la banque toute seule, par exemple. Si le mari a honte de la perte d’audition de sa femme, ne la prend pas au sérieux ou ne l’assume pas, il peut la faire passer pour plus stupide qu’elle n’est, au lieu de simplement parler de cette perte d’audition (ou de la laisser en parler).

La lassitude de devoir toujours répéter les choses peut aussi pousser la personne qui entend bien à parler sèchement, à montrer son énervement de diverses façons, et même à devenir condescendante ou méprisante avec son conjoint malentendant.

Tous ces comportements rendent l’environnement du malentendant toxique. Ce n’est pas facile d’assumer une perte d’audition, et de vivre avec au quotidien. Mais quand on est constamment infantilisé, méprisé ou l’objet de la colère et de l’énervement de son entourage, c’est encore plus difficile de le vivre bien.

Le malentendant peut lui aussi se sentir frustré de ne pas entendre comme il faut, et devenir aigri, abrupt et agressif dans ses interactions avec son entourage.

Chacun est différent dans son appréhension du handicap, qu’il en soit lui-même affecté ou non.

Le fait que la communication entre deux conjoints ou deux membres d’un foyer ne coule pas de source ajoute un obstacle à la relation. Cet obstacle peut être géré de différentes façons.

Plus on parvient à prendre les difficultés avec humour et légèreté, et plus c’est facile. Mais ce n’est pas toujours possible. Certains jours sont plus compliqués que d’autres et je me suis rendu compte que c’est important d’accepter les émotions douloureuses qui accompagnent les moments difficiles.

Et un conjoint qui apporte son soutien et son amour pendant ces moments éprouvants, c’est peut-être une des choses les plus apaisantes qui soit.

Vivre avec un malentendant, ou l’apprentissage de la patience – 1ère partie

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Ce n’est pas toujours facile d’être malentendant.

Ca peut être lourd, fatigant, déprimant.

Mais ce n’est pas évident non plus d’être dans l’entourage immédiat d’un malentendant. Le conjoint, en particulier, doit aussi affronter et gérer ce handicap.

C’est aussi le cas des enfants, parents, colocataires ou autres personnes qui vivent au quotidien avec la personne malentendante. Je parlerai avant tout du rôle du conjoint dans cette petite série de deux articles, mais ce que j’évoque peut être transposé sans difficulté à toute personne très proche du malentendant.

Il y a plusieurs raisons à ces difficultés :

  • Les efforts constants à faire pour se faire comprendre

Parler comme il faut, attirer l’attention avant de parler, ne pas cacher sa bouche, se mettre bien en face, et en général être conscient à tout moment que l’autre entend mal.

Il faut y penser à chaque fois que l’on essaie de communiquer, que l’on soit seuls ou en groupe, à la maison ou dehors.

Mais des fois, on oublie. On parle en tournant le dos, en faisant la vaisselle ou depuis une autre pièce. Et il faut répéter. Et répéter encore.

Et puis, des fois, la personne malentendante oublie aussi qu’elle entend mal, et pose une question à l’autre qui est à l’autre bout de la maison, sans se rendre compte (jusqu’à ce que ce soit trop tard) qu’elle ne pourra pas entendre sa réponse. Et ça donne quelque chose comme :

– Dis, t’as mis où le papier du loyer ?
– Sur la table du salon (l’autre personne répond depuis là où elle est)
– Ah je t’entends pas…

Ben oui, forcément !

Et il y a les jours où on est tellement fatigué ou préoccupé que c’est trop difficile de parler fort et clairement, de faire attention, de penser à tout. Et il faut répéter chaque phrase, au moment où on a le moins d’énergie pour le faire. Alors on s’énerve. On sait très bien que ce n’est pas de la faute de la personne si elle entend mal. Mais chaque effort demande tellement d’énergie que la frustration fait surface malgré tout.

Et comme par hasard, ce sont souvent à ces moments-là que l’autre, fatigué lui aussi, entend encore moins bien, et fait répéter encore plus.

  • Les disputes inutiles

J’ai remarqué qu’une partie non-négligeable des disputes qui peuvent se produire dans mon foyer ont un point d’origine commun : j’ai mal compris quelque chose.

Il suffit que je loupe un mot, ou le sens d’une phrase, et je vais répondre d’une certaine façon. Ma réponse ne correspond pas aux attentes de l’autre et, pour peu que j’aie parlé avec conviction et que ma réponse soit vraisemblable, l’autre peut mal le prendre, et là, ça dégénère.

De même si ce que j’ai (mal) compris m’énerve directement.

Genre :

– Ah quand même, t’exagères, de dire ça ! C’est pas vrai !
– Mais,… comment ça ?
– Euh, mais alors, qu’est-ce que t’as dit, en fait ?

Et ça, c’est si par chance ma réaction est vraiment incompréhensible pour l’autre par rapport à ce qui avait été dit à la base.

Parce qu’il arrive qu’on parte dans une dispute, pour se rendre compte une demi heure plus tard qu’elle n’avait absolument pas lieu d’être parce qu’on était tout à fait d’accord, en fait.

C’est épuisant.

Pour l’autre, et pour moi.

J’ai aussi vu des couples où la dispute éclate parce que la personne malentendante a manqué une information primordiale à un moment donné.

– Pourquoi tu ne m’as pas dit que les Untel venaient manger demain ?
– Mais je te l’ai dit ! Hier midi, après leur coup de fil !
– Mais non, tu me l’as pas dit ! Ou alors j’avais pas compris ça, moi !

C’est la faute à qui ? Au malentendant, de ne pas avoir dit qu’il n’avait pas compris ce qui avait été dit ? Il y a de fortes chances qu’il ne s’en soit même pas rendu compte.

Au conjoint entendant, de ne pas s’être assuré que la personne malentendante avait tout bien compris de son message ? Pas si évident.

Bien sûr, et heureusement, on peut mettre des choses en place pour éviter, ou diminuer la fréquence de ces moments difficiles. Mettre les rendez-vous importants par écrit, noter les choses, vérifier la compréhension de l’autre, etc. Mais cela ne résout pas toujours tout, et on n’atteint pas un degré de zénitude extrême du jour au lendemain.

La semaine prochaine je parlerai de plusieurs autres rôles que le conjoint peut être amené à jouer, avec ce qui peut déraper, et comment garder son indépendance autant que possible.

A la pêche aux idées…

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Le début de cette semaine était brumeux. Un brouillard dense, blanchâtre et opaque, qui empêchait toute visibilité et rendait la respiration difficile.

Et tandis que je réfléchissais au thème à aborder cette semaine, dans ce blog, j’ai eu l’impression que le brouillard avait envahi jusqu’à mon cerveau. Mes méninges en surchauffe n’arrivaient à se fixer sur aucune idée pertinente. Et malgré les nombreuses possibilités (j’ai plusieurs listes !), aucun thème ne retenait mon attention.

Alors je me suis dit :

Il est peut-être temps sortir de mes idées, de m’ouvrir, et de vous demander à vous, mes lecteurs, ce que vous souhaitez lire !

Quels sont les thèmes que vous aimeriez que j’aborde ?

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Connaissez-vous une personne sourde ou malentendante (ou autrement handicapée) qui vous inspire, et dont vous aimeriez que je parle ?

Un livre ou un film que vous aimeriez que je chronique ?

Une technologie que vous aimeriez que j’évoque ?

Une ou des émotions que vous devez affronter ?

Souhaitez-vous que je traite plus en profondeur un thème que j’ai déjà évoqué ?

C’est l’occasion de me faire passer vos suggestions, et de contribuer à mon blog !

Vous pouvez me répondre en commentant sur cet article, ou en m’envoyant un email sur ma page de contact. Je répondrai à toutes les suggestions autant que possible.

Communiquer en groupe : l’enfer, c’est les autres ?

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« Tu viens demain ? »

Une petite question anodine, posée par un ami rencontré par hasard dans la rue. Une petite question qui déclenche chez moi de nombreuses interrogations et émotions, qu’il me faut gérer avant de pouvoir y répondre.

Qu’il s’agisse d’une rencontre avec des amis dans un café, d’une soirée prévue chez quelqu’un, ou même peut-être d’un repas, cela ne change pas grand chose.

Est-ce que je vais arriver à comprendre ?

Est-ce que je vais avoir l’énergie et la concentration de suivre ce qui est dit ?

Est-ce que ça vaut le coup d’y aller ?

Est-ce que je ne vais pas rentrer déprimée, me sentant exclue et seule ?

Aurai-je l’impression d’avoir perdu mon temps ?

Et toutes ces questions tournent en quelques secondes dans mon esprit surchauffé, jusqu’à ce que je parvienne à répondre, en général « oui » parce que malgré tout, je n’aime pas abandonner avant d’avoir essayé.

Mais une fois arrivée sur le lieu de rencontre en question, c’est un véritable parcours du combattant qui commence.

  • Le bruit

C’est la première chose.

Parce qu’une rencontre avec plusieurs personnes, c’est bruyant. Même si on se retrouve chez quelqu’un, que l’ambiance est calme et qu’il n’y a pas de musique en arrière-plan. Il suffit que l’on démarre une conversation où tout le monde s’enthousiasme, rit ou se passionne, pour que le niveau de décibels augmente.

Alors si en plus, on se retrouve dans un café, dans un restaurant, que la musique est forte ou simplement qu’il y a du bruit, alors cela complique drôlement la compréhension pour moi.

  • Les conversations croisées

Qui dit groupe de personnes dit des conversations qui s’entrechoquent, se croisent et se développent en parallèle.

Le brouhaha du groupe devient complètement incompréhensible, et même anxiogène, si je me retrouve prise au milieu de plusieurs conversations. A part m’extraire du groupe et me déplacer pour pouvoir tenter de suivre une seule conversation, ou converser avec une seule personne, je n’ai pas beaucoup d’options.

  • La lecture sur les lèvres est difficile

L’environnement est souvent trop sombre, mal éclairé, ou avec des contre-jours qui sont autant d’obstacles à la lecture labiale. Et s’il y a plusieurs personnes, elles ne pourront pas toutes être bien placées pour que je puisse voir leur visage et leurs lèvres.

Or, les mouvements des lèvres et du visage de l’interlocuteur sont une composante essentielle de la compréhension de la parole pour moi.

  • Les personnes sont trop éloignées

Quand on est en groupe, que l’on soit assis autour d’une table, debout dans une salle ou sur des canapés autour de tables basses, il y aura toujours une ou plusieurs personnes qui seront trop éloignées de moi, ou trop mal placées par rapport à moi pour que je comprenne ce qu’elles disent.

Il y aura aussi toujours des personnes qui parleront trop doucement, trop vite, ou pas assez clairement pour que je puisse suivre ce qu’elles disent, même si elles sont à côté de moi.

  • Qui parle ?

Dans une conversation naturelle à plusieurs, les gens s’interpellent, s’interrompent et les paroles fusent de l’un à l’autre. Et moi, j’ai du mal à savoir qui parle. Ou de quoi on parle, d’ailleurs.

Si je me concentre très fort sur une personne proche de moi, qui parle assez distinctement et dont je peux voir le visage, j’arrive à comprendre presque tout ce qu’elle dit. Mais si le sujet de la conversation n’est pas répété, eh bien, j’aurai compris l’opinion de cette personne sur… un sujet inconnu.

Les moments où je suis au milieu d’un groupe sont ceux où j’ai le plus conscience de mon isolement. Et quelquefois, c’est vraiment douloureux. Mais la plupart du temps, je parviens à faire en sorte que l’expérience en vaille le coup.

Comment ?

Alors déjà, j’évite les lieux bruyants autant que possible. Si je sais que la soirée est dans une salle de concert, qu’il va y avoir de la musique, ou que le lieu va être très bruyant pour une raison ou pour une autre, j’y réfléchis à deux fois avant d’y aller. Si mon objectif est de voir un concert, alors je m’arme de mes bouchons d’oreille et j’y vais. Et tant pis si je ne peux pas trop communiquer. Mais si l’objectif est de voir les gens et de leur parler, alors je sais que ce n’est pas la peine.

Ensuite, une fois sur place, je me rapproche physiquement des gens avec qui j’entame une conversation. C’est plus facile s’il s’agit d’un lieu où l’on peut circuler librement. Dans le cas où on est assis autour d’une table, j’aurai tendance à parler avec mes voisins directs uniquement (d’où l’importance de bien les choisir !).

Si je peux, je parle de mon problème d’audition. Cela peut se faire sous la forme d’un « J’ai décroché, là. Vous parlez de quoi ? » lancé à la cantonade. C’est ce que je ferai si je suis avec un groupe d’amis qui me connaissent et sont au courant de mon handicap.

Je peux aussi simplement expliquer à la personne avec qui je parle que je suis malentendante et que j’ai besoin qu’elle parle clairement et en me regardant pour que je la comprenne.

Si c’est possible, je privilégie la conversation avec une personne à la fois.

J’ai remarqué que du coup, j’ai tendance à avoir des conversations profondes et relativement intimes. Cela me demande tellement de concentration de suivre une conversation dans un environnement bruyant ou dans un groupe, qu’il faut que ça en vaille la peine ! Alors j’évite les bavardages insignifiants ou superficiels.

Et en dernier lieu, je passe par l’écrit. C’est là où c’est bien pratique d’avoir son smartphone à portée de main, avec une application de notes facile à utiliser. C’est comme si j’avais une ardoise, et le rétroéclairage permet de s’en servir même dans les lieux sombres.

Bien sûr, je n’utiliserais pas l’écrit pour mener toute une conversation avec quelqu’un que je connais peu. Mais c’est bien pratique, surtout quand l’environnement est très bruyant, de pouvoir échanger quelques mots avec mes proches de cette façon.

Au bout du compte, même si les situations de groupe restent difficiles pour moi, je m’arrange toujours pour avoir au moins une ou deux conversations significatives, qui me permettent de repartir le sourire aux lèvres, sachant que ma présence n’aura pas été totalement inutile ou invisible.

Et vous, comment gérez-vous les situations de groupe ? Comment les malentendants de votre entourage se comportent-ils en groupe ? Avez-vous trouvé des astuces qui vous aident à mieux communiquer ?