Communiquer en groupe : l’enfer, c’est les autres ?

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« Tu viens demain ? »

Une petite question anodine, posée par un ami rencontré par hasard dans la rue. Une petite question qui déclenche chez moi de nombreuses interrogations et émotions, qu’il me faut gérer avant de pouvoir y répondre.

Qu’il s’agisse d’une rencontre avec des amis dans un café, d’une soirée prévue chez quelqu’un, ou même peut-être d’un repas, cela ne change pas grand chose.

Est-ce que je vais arriver à comprendre ?

Est-ce que je vais avoir l’énergie et la concentration de suivre ce qui est dit ?

Est-ce que ça vaut le coup d’y aller ?

Est-ce que je ne vais pas rentrer déprimée, me sentant exclue et seule ?

Aurai-je l’impression d’avoir perdu mon temps ?

Et toutes ces questions tournent en quelques secondes dans mon esprit surchauffé, jusqu’à ce que je parvienne à répondre, en général « oui » parce que malgré tout, je n’aime pas abandonner avant d’avoir essayé.

Mais une fois arrivée sur le lieu de rencontre en question, c’est un véritable parcours du combattant qui commence.

  • Le bruit

C’est la première chose.

Parce qu’une rencontre avec plusieurs personnes, c’est bruyant. Même si on se retrouve chez quelqu’un, que l’ambiance est calme et qu’il n’y a pas de musique en arrière-plan. Il suffit que l’on démarre une conversation où tout le monde s’enthousiasme, rit ou se passionne, pour que le niveau de décibels augmente.

Alors si en plus, on se retrouve dans un café, dans un restaurant, que la musique est forte ou simplement qu’il y a du bruit, alors cela complique drôlement la compréhension pour moi.

  • Les conversations croisées

Qui dit groupe de personnes dit des conversations qui s’entrechoquent, se croisent et se développent en parallèle.

Le brouhaha du groupe devient complètement incompréhensible, et même anxiogène, si je me retrouve prise au milieu de plusieurs conversations. A part m’extraire du groupe et me déplacer pour pouvoir tenter de suivre une seule conversation, ou converser avec une seule personne, je n’ai pas beaucoup d’options.

  • La lecture sur les lèvres est difficile

L’environnement est souvent trop sombre, mal éclairé, ou avec des contre-jours qui sont autant d’obstacles à la lecture labiale. Et s’il y a plusieurs personnes, elles ne pourront pas toutes être bien placées pour que je puisse voir leur visage et leurs lèvres.

Or, les mouvements des lèvres et du visage de l’interlocuteur sont une composante essentielle de la compréhension de la parole pour moi.

  • Les personnes sont trop éloignées

Quand on est en groupe, que l’on soit assis autour d’une table, debout dans une salle ou sur des canapés autour de tables basses, il y aura toujours une ou plusieurs personnes qui seront trop éloignées de moi, ou trop mal placées par rapport à moi pour que je comprenne ce qu’elles disent.

Il y aura aussi toujours des personnes qui parleront trop doucement, trop vite, ou pas assez clairement pour que je puisse suivre ce qu’elles disent, même si elles sont à côté de moi.

  • Qui parle ?

Dans une conversation naturelle à plusieurs, les gens s’interpellent, s’interrompent et les paroles fusent de l’un à l’autre. Et moi, j’ai du mal à savoir qui parle. Ou de quoi on parle, d’ailleurs.

Si je me concentre très fort sur une personne proche de moi, qui parle assez distinctement et dont je peux voir le visage, j’arrive à comprendre presque tout ce qu’elle dit. Mais si le sujet de la conversation n’est pas répété, eh bien, j’aurai compris l’opinion de cette personne sur… un sujet inconnu.

Les moments où je suis au milieu d’un groupe sont ceux où j’ai le plus conscience de mon isolement. Et quelquefois, c’est vraiment douloureux. Mais la plupart du temps, je parviens à faire en sorte que l’expérience en vaille le coup.

Comment ?

Alors déjà, j’évite les lieux bruyants autant que possible. Si je sais que la soirée est dans une salle de concert, qu’il va y avoir de la musique, ou que le lieu va être très bruyant pour une raison ou pour une autre, j’y réfléchis à deux fois avant d’y aller. Si mon objectif est de voir un concert, alors je m’arme de mes bouchons d’oreille et j’y vais. Et tant pis si je ne peux pas trop communiquer. Mais si l’objectif est de voir les gens et de leur parler, alors je sais que ce n’est pas la peine.

Ensuite, une fois sur place, je me rapproche physiquement des gens avec qui j’entame une conversation. C’est plus facile s’il s’agit d’un lieu où l’on peut circuler librement. Dans le cas où on est assis autour d’une table, j’aurai tendance à parler avec mes voisins directs uniquement (d’où l’importance de bien les choisir !).

Si je peux, je parle de mon problème d’audition. Cela peut se faire sous la forme d’un « J’ai décroché, là. Vous parlez de quoi ? » lancé à la cantonade. C’est ce que je ferai si je suis avec un groupe d’amis qui me connaissent et sont au courant de mon handicap.

Je peux aussi simplement expliquer à la personne avec qui je parle que je suis malentendante et que j’ai besoin qu’elle parle clairement et en me regardant pour que je la comprenne.

Si c’est possible, je privilégie la conversation avec une personne à la fois.

J’ai remarqué que du coup, j’ai tendance à avoir des conversations profondes et relativement intimes. Cela me demande tellement de concentration de suivre une conversation dans un environnement bruyant ou dans un groupe, qu’il faut que ça en vaille la peine ! Alors j’évite les bavardages insignifiants ou superficiels.

Et en dernier lieu, je passe par l’écrit. C’est là où c’est bien pratique d’avoir son smartphone à portée de main, avec une application de notes facile à utiliser. C’est comme si j’avais une ardoise, et le rétroéclairage permet de s’en servir même dans les lieux sombres.

Bien sûr, je n’utiliserais pas l’écrit pour mener toute une conversation avec quelqu’un que je connais peu. Mais c’est bien pratique, surtout quand l’environnement est très bruyant, de pouvoir échanger quelques mots avec mes proches de cette façon.

Au bout du compte, même si les situations de groupe restent difficiles pour moi, je m’arrange toujours pour avoir au moins une ou deux conversations significatives, qui me permettent de repartir le sourire aux lèvres, sachant que ma présence n’aura pas été totalement inutile ou invisible.

Et vous, comment gérez-vous les situations de groupe ? Comment les malentendants de votre entourage se comportent-ils en groupe ? Avez-vous trouvé des astuces qui vous aident à mieux communiquer ?

L’outil ultime du malentendant : le smartphone

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Quand on réfléchit aux outils qui peuvent aider un malentendant, on ne pense pas toujours aux objets courants, que tout le monde possède et utilise, ou presque. Et pourtant, le smartphone, ou téléphone intelligent, est un des outils que j’utilise au quotidien, et qui m’aide dans bien des situations en lien avec ma perte auditive.

De nombreuses raisons en font un compagnon de choix, qui ne me quitte jamais.

  • La « coolitude » de l’objet

Le smartphone est un des objets technologiques les plus répandus à l’heure actuelle. La plupart des personnes qui ont une vie sociale et professionnelle active en ont un.

Pouvoir l’utiliser pour faciliter la compréhension quand on est malentendant, c’est un des éléments qui nous projette de l’état de « personne handicapée avec prothèses auditives » à celui de « personne à la pointe du progrès technologique ».

Le côté jeune, actif, dans le vent, nous aide à nous intégrer dans un monde largement basé sur la technologie.

  • La magie de la communication écrite

La possibilité de recevoir un texto ou un email à la place d’un appel téléphonique rend la communication bien plus facile. Finis ces moments de sueur froide où je répond au téléphone et ne parviens pas à identifier la personne, ou l’organisme, qui m’appelle.

« Pourriez-vous m’envoyer un email s’il vous plaît ? J’entends très mal au téléphone. »

Et la plupart du temps, la communication arrive ainsi par écrit, le smartphone m’y donne un accès immédiat, et la compréhension du message est assurée sans effort de ma part.

Et ça, il faut bien le dire, c’est très reposant.

  • La qualité du son numérique

Les smartphones actuels de bonne qualité possèdent des composantes électroniques qui assurent un excellent son numérique.

Cela me permet de recevoir ou de passer un appel, alors qu’avec un téléphone fixe, cela n’est plus possible. Après, même avec le smartphone, il faut certaines conditions pour que je puisse comprendre une personne au téléphone, et il s’agit presque toujours de conversations courtes, avec un objectif pratique.

La période où je passais des heures au téléphone avec famille et amis, à parler de tout et de rien, est maintenant bel et bien révolue. Mais heureusement, il reste toujours d’autres moyens de communication (Dieu merci, Skype existe !).

  • L’accès à la musique (avec un bon casque)

Grâce au son numérique, j’arrive même à écouter un peu de musique ! Il me faut un bon casque, bien sûr, mais une fois le casque adéquat trouvé, le son du smartphone est assez clair pour m’aider à saisir une partie de la richesse sonore de certaines musiques.

Bien mieux que le son de ma chaîne hifi, ou le son des haut-parleurs de la voiture ou de l’ordinateur, en tout cas.

  • Et bientôt : La possibilité d’avoir des appels transcrits par écrit

Les smartphones deviennent de plus en plus pertinents pour les personnes malentendantes, grâce à la myriade d’applications que l’on peut installer dessus.

La preuve : Un entrepreneur sourd est en train de développer une application qui pourra transcrire « instantanément sur votre smartphone les propos de votre interlocuteur pendant qu’il parle. »

La technologie de transcription de la voix a beaucoup progressé ces dernières années, et une application de ce genre permettra à de nombreux malentendants de pouvoir recommencer à téléphoner sans crainte.

Je l’attends moi-même avec beaucoup d’impatience !

  • Et déjà : une télécommande pour les appareils auditifs

Depuis peu, certains appareils auditifs sont compatibles avec un smartphone. Un utilisateur a d’ailleurs détaillé les fonctionnalités de ses aides auditives qui sont couplées avec son iphone.

Bien sûr, cela ne concerne pas toutes les prothèses auditives, ni même tous les smartphones pour l’instant. Apple a été le premier à rendre son iphone compatible. Mais des applications sont en cours de développement pour les autres plateformes mobiles, et l’année 2015 devrait apporter de grandes avancées à ce sujet.

Mais pourquoi faire, me demanderez-vous peut-être ? Pourquoi coupler des aides auditives avec un smartphone ? N’est-ce pas un gadget inutile ?

Eh bien, j’ai toujours eu une télécommande avec mes appareils, depuis mon premier appareillage en 2009. Cette télécommande peut être utilisée pour augmenter ou diminuer le volume, pour augmenter ou diminuer les aigus, ou pour changer de programme.

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Voici à quoi ressemble ma télécommande actuelle.

La télécommande améliore-t-elle le confort auditif ? Sans aucun doute. Mais je ne m’en sers quasiment jamais.

Pourquoi ? Je n’y pense pas. Les appareils sont dans mes oreilles et je les y oublie volontiers. Du coup, la plupart du temps, je n’ai pas le réflexe télécommande, parce que je ne pense ni à mes appareils, ni à ma perte d’audition.

Et puis, c’est voyant, de sortir une télécommande étrange de son sac pour subitement pianoter dessus. Ma télécommande actuelle émet des lumières bleues et rouges à chaque fois que je modifie un réglage, autant dire que ce n’est pas très discret.

Pianoter sur un smartphone, par contre, tout le monde le fait constamment.

Or, les appareils auditifs compatibles proposent une application à télécharger sur le téléphone, qui remplace la télécommande peu pratique des fabricants d’aides auditives. Depuis l’interface de l’application, on peut changer le volume, les aigus, les programmes, et bien d’autres fonctions encore.

  • Et même : un micro déporté à moindre coût !

Ca, c’est la cerise sur le gâteau ! Le smartphone peut devenir un micro déporté, lorsqu’il est couplé avec les appareils auditifs.

Concrètement, cela signifie que le micro du smartphone peut être utilisé pour saisir les paroles d’une personne ou d’un groupe de personne, et le son est retransmis directement dans les appareils auditifs.

En gros, au lieu de se pencher vers ses interlocuteurs, on leur passe le téléphone, et voilà ! Cela permet une amélioration non négligeable de la qualité d’écoute.

Je m’étais renseignée, il y a quelques années, sur les coûts associés aux systèmes de micros déportés, compatibles avec les aides auditives. Ils se chiffraient en milliers d’euros.

Et là, avec un smartphone à 500 euros, on a une technologie similaire qui, même si elle n’atteint peut-être pas le niveau de qualité des micros spécialisés, est accessible à bien plus de malentendants, et peut contribuer grandement à un meilleur confort d’écoute.

Une chose est sûre, mes prochains appareils auditifs seront connectés !

Les outils qui aident : les appareils auditifs

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Quand on perd l’audition, on trouve de nombreuses façons de s’adapter. On regarde plus. On devient plus sensible aux émotions. On observe les autres, les situations et les lieux bien plus qu’avant. On s’appuie sur les autres sens pour compenser le handicap. Et il arrive que l’on s’appuie tellement sur ses capacités qu’on en arrive à oublier qu’il existe des technologies qui peuvent nous aider, au quotidien, à mieux entendre et à mieux communiquer. Parmi les quelques outils que j’utilise au quotidien, les appareils auditifs viennent en première place.

Et les prothèses auditives, c’est toute une histoire ! Une histoire très personnelle pour chaque malentendant. Il s’agit là d’une étape décisive à franchir dans l’acceptation de sa perte auditive. Ce n’est pas évident de passer du stade « Je n’entends pas bien, pouvez-vous répéter ? » (ou même « Je fais comme si j’avais entendu, tout va bien ») à « Je suis malentendant et je suis appareillé. »

Or, il est important de se faire appareiller assez tôt. Pourquoi ? Même avec une surdité légère, le cerveau perd l’habitude de percevoir certains sons. Plus on attend, plus la perte auditive est sévère au moment de l’appareillage, et plus difficile (et long) sera le temps d’adaptation, car le cerveau doit se réhabituer à percevoir ces sons, et doit souvent réapprendre à les identifier !

Mais quel que soit le moment où vous franchissez finalement le cap, il est important de suivre certaines règles pour que tout se passe pour le mieux :

– D’abord, obtenez l’aide d’un professionnel. N’essayez pas d’acheter des appareils auditifs à 200 € ou moins sur Amazon ! Cela ne vous aidera pas beaucoup. En effet, votre surdité est unique : vous entendez moins certaines fréquences que d’autres, et le fait d’augmenter simplement le volume pour tous les sons, et toutes les fréquences, ne vous donnera pas le confort d’écoute que vous recherchez, et cela risque au contraire d’endommager un peu plus votre audition ! Un audioprothésiste saura vous conseiller, et surtout pourra régler les appareils de façon à compenser votre perte auditive particulière.

– Si vous aviez essayé des appareils il y a plusieurs années, et que cela ne vous avait pas convenu pour une raison ou pour une autre, réessayez ! La technologie a vraiment fait un bond depuis quelques années, et les problèmes qui existaient il y a 10 ans, 5 ans ou même 2 ans pourraient bien avoir disparu. Allez voir un autre audioprothésiste, peut-être, d’autant plus si ça ne s’était pas très bien passé la dernière fois. Choisissez quelqu’un qui se trouve assez près de chez vous, parce que vous lui rendrez visite très régulièrement pendant la phase de réglage des appareils, privilégiez un professionnel avec qui vous vous sentez en confiance, et demandez un essayage gratuit !

– Rappelez-vous que ce n’est pas magique. Si vous venez de sortir de chez l’audioprothésiste et que tout est trop fort, que certains sons vous gênent ou que vos appareils sifflent, ne vous inquiétez pas ! Ne jetez pas vos appareils au fond d’un tiroir pour autant. Votre cerveau doit se réhabituer au niveau sonore normal, et doit recommencer à faire le tri entre les informations sonores qu’il n’avait plus l’habitude de gérer à ce volume. Il est même possible que vous deviez réapprendre à identifier certain bruits ou sons, ainsi que leur provenance. Cela prend un peu de temps. Si au bout de quelques jours, l’écoute est toujours inconfortable, retournez voir votre audioprothésiste et apportez-lui le maximum d’indications précises sur ce qui vous gêne (« J’ai du mal avec le bruit des talons dans la rue », « je ne supporte pas quand quelqu’un siffle », etc.). De cette façon, il pourra affiner le réglage de vos appareils. Cette phase de mise au point peut durer plusieurs semaines, soyez donc patient !

– Si vous avez une surdité des deux oreilles (pour autant que chaque oreille entende au moins un peu), et même si une oreille entend mieux que l’autre, faites appareiller les deux oreilles autant que possible. Cela permet un équilibre sonore au niveau du cerveau, et le temps d’adaptation sera d’autant plus court et moins difficile si vous n’avez pas à vous battre contre une perception déséquilibrée entre les deux oreilles. Vous trouverez plus d’informations sur ce sujet ici.

Il est important de savoir que les prothèses auditives ne sont pas l’instrument merveilleux qui résoudra absolument tous vos problèmes d’audition dans toutes les situations et qui vous permettra de faire comme si vous entendiez parfaitement bien en premier lieu. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Lorsque j’ai eu mes premiers appareils, j’ai rêvé que cela me permettrait de ne pas avoir à divulguer mon handicap (cette « faiblesse »). Tout comme une personne myope qui porte des lentilles n’a pas besoin d’en parler, je pensais pouvoir être dispensée des longues explications embarrassantes pour justifier un quiproquo ou une incompréhension. J’ai été très déçue de me rendre compte que, dans un environnement bruyant, je ne comprends toujours pas tout, et que je décroche rapidement des conversations de groupe malgré l’appareillage.

Et j’ai dû apprendre à en parler. Expliquer aux gens qui m’entourent et que je rencontre que je n’entends pas bien, et que s’ils me parlent en cachant leur bouche, ou en me tournant le dos, ou en étant à l’autre bout de la pièce, ou s’il y a beaucoup de bruit, je ne les comprendrai pas, même avec mes prothèses auditives. Et au fur et à mesure que j’assume mieux ma perte auditive, je me rends compte que je dois quand même beaucoup à mes appareils. Certaines conversations me sont maintenant accessibles, et même si la situation est difficile à cause du vacarme environnant, ce sont des conversations dont j’aurais été exclues dès le départ avant d’être appareillée. Les conversations en tête à tête sont aussi bien plus confortables. Plus besoin de tendre l’oreille et de faire un effort de concentration aussi intense pour comprendre mon interlocuteur. Pour moi, les appareils représentent le confort auditif que je ne pourrais pas avoir sans. Et à chaque fois qu’il est temps d’en changer, la technologie a tellement évolué qu’elle me permet un confort encore plus important, même si ma perte auditive s’est accentuée. 

Alors j’apprends à vivre avec, avec le rituel de les sortir de leur petit boîtier chauffant le matin, et de les y remettre le soir, qui est devenu presque aussi automatique que le brossage de dent quotidien. Et je suis très reconnaissante que ces petits objets puissent avoir un si grand impact dans ma vie, même s’ils ne « corrigent » pas ma perte auditive.

Et vous ? Êtes-vous appareillé ? Comment avez-vous fait, et vécu, le choix de porter des prothèses auditives ou non ? Quelle est votre relation avec vos appareils ? Et si vous avez un ou des malentendants, appareillés ou non, dans votre entourage, comment voyez-vous cette aide technologique ? Êtes-vous conscient que l’appareillage ne résout pas tous les problèmes d’audition ? Avez-vous déjà conseillé à des proches de se faire appareiller ? N’hésitez pas à commenter pour partager votre expérience !

Portrait : Evelyn Glennie, une icône ?

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J’ai découvert l’existence de cette musicienne il y a maintenant quelques années, en regardant sa conférence TED sur comment vraiment écouter (vous pouvez mettre les sous-titres en français sur cette vidéo). Evelyn Glennie, c’est avant tout une célèbre percussioniste. Elle est écossaise, c’est la première musicienne à avoir une carrière de percussioniste classique soliste. Elle a même été nommée Dame Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique par la reine Elisabeth II pour ses services rendus à la musique, et elle va avoir 50 ans cette année. Oh, et elle est sourde…

J’ai entendu parler d’elle à un moment où je me débattais avec ma perte auditive. Je venais de perdre encore 20% de mon audition, et avec 50% de perte auditive dans chaque oreille, je me faisais du souci pour l’avenir. J’étais aussi en deuil, et je pensais que je ne pourrais plus jamais faire de musique, que mes heures passées à chanter en m’accompagnant au piano, à écouter de la musique ou à jouer des sonates à la flûte à bec avec ma mère et mes frères, étaient pour toujours révolues. Et puis, j’ai regardé cette vidéo TED. J’ai entendu la musique que cette femme sourde parvenait à faire, sans jamais laisser son handicap l’empêcher d’être musicienne. Quelque chose a changé pour moi à ce moment-là.

J’ai fait quelques recherches sur Evelyn Glennie, et en regardant les divers films, vidéos et essais qu’elle a faits, j’ai compris que sa surdité avait peu d’importance pour elle. Elle n’aime d’ailleurs pas en parler aux journalistes, car cela ne change rien à la musicienne qu’elle est. Cependant, après s’être rendu compte que, si elle ne répondait pas aux questions sur son audition, les journalistes avaient tendance à inventer des choses juste pour pouvoir en parler, elle a écrit un essai à ce sujet. Son Hearing Essay, écrit en 1993, tente de rétablir la réalité de son vécu par rapport à sa surdité. Elle y explique qu’elle n’est pas totalement sourde, mais qu’elle a une surdité profonde. Cela signifie que la qualité du son qu’elle perçoit n’est pas assez bonne pour lui permettre une compréhension de la parole à partir du son seulement. Elle s’appuie donc énormément sur la lecture labiale pour obtenir le sens des paroles prononcées.

Evelyn Glennie commence à perdre l’audition à 8 ans, et devient sourde profonde à 12 ans. C’est aussi à cet âge-là qu’elle commence à prendre des cours de percussions. Elle décide alors de retirer ses appareils auditifs pour apprendre à écouter avec tout le corps plutôt que de se concentrer sur le son perçu (ou pas) par ses oreilles. Son professeur l’encourage, et elle finit par intégrer la prestigieuse Royal Academy Music de Londres, d’où elle sort diplômée à 19 ans.

Evelyn Glennie ne parle pas la langue des signes, et s’exprime parfaitement bien en anglais, avec un charmant accent écossais d’ailleurs. Dans son essai, elle explique aussi qu’elle peut utiliser le téléphone, si c’est surtout elle qui parle, et que son interlocuteur tape avec un stylo sur le micro pour communiquer d’après un code qui lui permet de comprendre quelques mots. Cela m’a donné des idées pour pouvoir continuer à utiliser le téléphone même si ma perte auditive s’accentue.

Au début de sa conférence TED, elle annonce que son objectif, c’est d’apprendre aux gens comment écouter. Quelle mission pour une personne atteinte de surdité profonde ! Après avoir regardé la vidéo de cette conférence, je me suis demandé si toute perte auditive n’était pas une chance, une opportunité pour apprendre à écouter. Un appel à écouter différemment, peut-être, mais aussi un encouragement (pour ne pas dire une obligation) à mettre plus d’attention sur un processus qui est sinon tellement naturel que personne n’y pense vraiment. Et en apprenant à vraiment écouter, on apprend à percevoir d’autres choses aussi, et à communiquer autrement. Et il est ensuite tout naturel de vouloir partager ou enseigner les compétences que l’on a acquises et développées en s’adaptant au handicap.

C’est peut-être pour cela qu’en sortant de la première sensibilisation que j’avais animée, il y a deux ans de cela, je me suis sentie si bien. Je venais de passer deux heures à parler à un groupe de personnes de ce que c’est qu’être malentendant, et de comment communiquer avec quelqu’un qui entend mal, et j’en suis sortie émue de la façon dont mon intervention avait été reçue, et remplie de joie d’avoir eu cette opportunité. J’étais à ma place. C’était comme si soudain, quelque chose justifiait ce handicap que j’avais eu tant de mal à accepter. Si je pouvais partager cette expérience avec d’autres, et en tirer quelque chose de positif et d’universel, alors cela valait le coup !

Evelyn Glennie a été pour moi une héroïne, une icône, un exemple. Peut-être parce qu’elle m’a aidé à découvrir que cette force que j’admirais chez elle, je l’avais aussi au fond de moi, et qu’il suffisait de pas grand chose pour la laisser s’exprimer. La force d’oublier le handicap. De vivre sa vie simplement, en s’adaptant à ce qui est, et en transformant nos faiblesses en atouts uniques. La force de réaliser ses rêves, et de répondre à ceux qui s’interrogent :

« Even so, no one really understands how I do what I do. Please enjoy the music and forget the rest. » (« Malgré cela, personne ne comprend vraiment comment je fais ce que je fais. Appréciez simplement la musique et oubliez le reste. »)

Les fêtes en famille : un cauchemar ?

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La période des fêtes approche à grands pas, et avec elle son lot de cadeaux à acheter, courses à faire, sapin à décorer, musique de Noël à entendre partout, dans les rues, les magasins, à la radio, et ce qu’on le veuille ou non, et films de Noël à la télévision. A moins d’être un ermite au fond d’une grotte sans accès internet, il est impossible d’ignorer la saison festive, ou de ne pas y penser. Et pour certains, c’est un moment privilégié de l’année, où l’on revoit avec bonheur les membres de la famille que l’on ne croise qu’une fois l’an, où l’on échange des cadeaux et prépare des repas de fêtes qui soulignent la convivialité de ces quelques jours passés en famille, et le plaisir de se retrouver.

Mais pour beaucoup, il s’agit là d’une période difficile. Car la famille, ce n’est pas toujours facile. De vieilles rancœurs peuvent refaire surface, des dynamiques familiales complexes et souvent négatives semblent nous étouffer à nouveau, et on se retrouve à devoir gérer des émotions qui nous bouleversent toujours autant que lorsque nous étions enfants. Les excès de nourriture et d’alcool nous laissent dans un état léthargique qui va de pair avec les soucis financiers dus à notre frénésie d’achats du mois de décembre. Et puis, on s’attend à ce que Noël, ce soit parfait. Les images qui nous bombardent dès le mois de novembre, chaque année, racontent toutes une histoire merveilleuse, des repas de famille dominés par le rire et la joie, des moments de partage pleins de tendresse, et de la compagnie appréciée. Alors que se passe-t-il lorsqu’on est seul pour les fêtes ? Ou lorsque la réunion avec la famille ne se passe pas aussi bien que prévu ? On se sent d’autant plus seul, coupable, triste, déprimé.

Au stress ressenti par la plupart des adultes avant et pendant la période des fêtes s’ajoute, pour les personnes qui n’entendent pas bien, un élément supplémentaire à prendre en compte : le bruit. Car la saison des fêtes est bruyante par essence. Partout, la musique de Noël hurle dans des haut-parleurs de mauvaise qualité et s’ajoute au tintement des clochettes, au bruit des sabots des poneys qui tirent des calèches, et aux pas des passants pressés qui retentissent sur les pavés. Et puis, il y a les repas de famille. Les enfants, excités par l’idée des cadeaux et les jus de fruits, bonbons et chocolats qu’ils ont avalés, courent, sautent et hurlent dans tous les sens. De nombreuses personnes se retrouvent réunies, et les discussions, mêlées à la musique de fond, forment un brouhaha indéchiffrable pour ceux qui ont perdu de l’audition. L’alcool fait baisser la concentration, et rend les conversations encore plus difficiles à suivre au milieu de ce magma sonore.

Alors on s’isole. Alors on bluffe. On fait comme si on comprenait, et avec une pirouette, on va se réfugier dans la cuisine, ou dans une autre pièce calme, en utilisant le prétexte d’aller chercher quelque chose d’important. On va faire la vaisselle. On trouve des excuses pour ne pas participer aux conversations. On se rend utile, plutôt. On prend l’air très occupé, passant d’une pièce à l’autre en espérant que personne ne nous adressera la parole. Ou bien, on évite même la réunion de famille. On prétexte une grippe ou une gastro, et on ne vient pas, pour ne pas infecter les autres, soit disant. Et on reste seul chez soi, à regarder des films sous-titrés en essayant de ressentir le moins possible la tristesse qui nous ronge.

Mais alors, comment faire pour mieux vivre cette période de l’année, et pour profiter de rattraper le temps perdu avec ces membres de la famille que l’on ne voit qu’à cette occasion ? J’ai trouvé, au fil des années, quelques astuces qui m’aident à tirer un meilleur parti de la saison des fêtes, et j’ai aussi beaucoup observé comment d’autres malentendants pouvaient gérer les difficultés. Voici quelques points qui vous aideront peut-être aussi.

  • En parler

La famille aussi oublie que l’on est malentendant. Et nos propres parents, enfants, oncles et tantes ou cousins, dans l’agitation générale, se mettent à parler à toute vitesse, pas assez fort, trop fort, sans nous regarder ou en mettant la main devant la bouche. Pendant les repas, les gens s’interrompent et on n’arrive plus à suivre qui parle, de quoi on parle, ni ce qui est dit. Bien sûr, ce n’est pas évident, au milieu d’une conversation qui fuse de droite à gauche, en plein repas de famille, de rappeler à la cantonade que l’on n’entend pas bien et que l’on n’arrive plus à suivre. Mais si notre relation est raisonnablement bonne avec au moins certains membres de sa famille, on peut leur rappeler dès le début de la soirée de faire attention. Le fait d’en parler rappelle notre difficulté et notre souffrance aux gens qui nous aiment, et leur donne l’opportunité de nous aider à suivre, en résumant ce qui vient d’être dit par exemple, ou en faisant attention à la façon dont ils parlent et en nous gardant inclus dans les conversations autant que possible.

  • Demander le soutien des enfants et de leurs parents

Pour limiter le bruit de fond, qui est si fatigant pour tout le monde, et d’autant plus pour ceux qui n’entendent pas bien, parlez aux parents des jeunes enfants, et aux enfants eux-mêmes ! De cette façon, les enfants pourront comprendre que c’est difficile pour vous de suivre les conversations s’ils font du bruit, et les parents pourront le leur rappeler régulièrement. Si c’est possible, demandez aux enfants d’aller jouer dans une autre pièce s’ils font du bruit, et d’être calmes s’ils sont dans la pièce où les adultes discutent. Tous les enfants (et tous les parents) ne prendront peut-être pas toujours en compte votre demande, mais certains le feront sûrement, et cela vous aidera déjà un peu.

  • S’appuyer sur la lecture labiale

Dans le bruit, ce n’est pas un secret. La compréhension orale est plus difficile, et on s’appuie naturellement davantage sur le visuel, et sur la lecture labiale. Tout le monde lit plus ou moins sur les lèvres, et les malentendants le font simplement plus que les autres. J’ai eu la chance de pouvoir suivre un cours de lecture labiale, assuré par l’association Diapasom, qui m’a énormément aidée à conscientiser le processus de lecture des sons sur les lèvres. Ce n’est pas magique, mais j’ai remarqué une amélioration de ma compréhension en milieu bruyant suite à cette formation. Alors si vous le pouvez, rapprochez-vous de votre association locale pour voir si une formation de ce genre est disponible.

Par contre, la lecture labiale, c’est fatigant. Cela demande une attention et une concentration extrêmement intenses, et j’ai du mal à m’appuyer principalement sur cet outil pendant plus d’une demi-heure. C’est là que l’astuce suivante est très utile.

  • Se ménager des pauses

Le vacarme est particulièrement épuisant, en raison de la concentration qu’on est obligé de déployer pour parvenir à comprendre ne serait-ce que des bribes de conversation. Au bout d’un certain temps, qui va varier d’une personne à l’autre suivant sa surdité, son état général et sa tolérance, il est important de sortir du bruit. Faites des pauses. Si vous commencez à avoir mal à la tête, ou à être irritable ou d’humeur changeante, il y a des chances que vous ayez dépassé votre seuil de tolérance au bruit. Sortez de la pièce bruyante, allez ranger la cuisine, lire un livre dans votre chambre, sortez faire une balade dans l’air hivernal ou faites une petite sieste. Prenez ce temps-là pour vous régénérer régulièrement, et quand vous retrouverez vos proches, vous serez reposé, de meilleure humeur, et plus à même de faire l’effort de suivre une conversation.

  • Trouver des moments calmes où parler à chacun en particulier

Mon père est malentendant depuis très longtemps, et sa perte auditive est importante. Il est appareillé, mais dans un environnement assourdissant comme sa maison peut l’être pendant la période des fêtes, il ne peut suivre aucune conversation. Alors il a trouvé une astuce pour parvenir à rester en contact avec chaque membre de sa famille, et à ne pas s’isoler complètement de ses proches : il s’arrange pour trouver un moment, au cours des quelques jours que nous passons ensemble, pour parler à chaque personne, dans le calme. Cela peut être une petite conversation sur le canapé du salon, ou pendant une visite de son jardin dehors, ou pendant qu’il fait la vaisselle et que l’autre aide à essuyer. Toutes les occasions sont bonnes pour trouver ce moment privilégié, et c’est une excellente manière de rester en contact avec chacun, et de ne pas se sentir exclu, isolé et déconnecté de toute la famille.

  • Ne pas se mettre la pression

Les fêtes, c’est souvent compliqué. Et quand on est malentendant, c’est encore plus compliqué. Mais c’est aussi une occasion de rencontre et de connexion, même quand on entend mal. On ne parviendra peut-être pas à saisir toutes les occasions de conversation et d’échange, ni à tout comprendre. Mais on en saisira quelques unes, et l’important c’est de faire en sorte qu’elles comptent. N’ayez pas des attentes trop élevées pour cette période. Ne vous mettez pas la pression. Soyez reconnaissant pour chaque moment qui se passe bien, et soyez doux avec vous-même pour chaque moment difficile. Pour ne pas s’isoler et rester un membre actif de la famille, on déploie des efforts considérables, bien plus importants que ce que les autres peuvent voir. Si vous choisissez de faire ces efforts-là, plutôt que de vous retirer de tout échange, alors bravo ! Vous méritez d’être reconnu, et encouragé.

 

Et vous, comment vivez-vous les fêtes ? Avez-vous plutôt tendance à vous réjouir ou à redouter la fin de l’année ? Avez-vous trouvé d’autres astuces qui vous aident à gérer les difficultés évoquées ? Ou avez-vous rencontré d’autres difficultés encore ? Comment les surmontez-vous ?

Perte d’audition : les cinq étapes après le diagnostic

Dépression

Vous venez de faire un test auditif, chez l’ORL, lors d’une visite de médecine du travail ou chez un audioprothésiste, et le diagnostic tombe. Votre audition est moins bonne qu’avant. Bien moins bonne, peut-être même. Vous avez peut-être perdu 15%, 30%, ou 50% de votre capacité auditive. Ou plus. On vous conseille peut-être aussi de vous faire appareiller.

A ce moment-là, et même si vous vous y attendiez plus ou moins, la nouvelle vous tombe dessus comme une mousson en pleine saison sèche. Et vous restez là, sous le choc. Votre réaction est en fait tout à fait normale. Il s’agit là de la première étape d’un deuil. Parce que le diagnostic d’une perte d’audition, comme toute perte significative, entame un processus de deuil chez la personne concernée, avec cinq phases que l’on va devoir traverser. Ces cinq phases avaient déjà été mises en évidence par Elisabeth Kübler-Ross en 1969.

  • Le déni

La première phase commence quand vous êtes cloué sur le fauteuil en face du professionnel qui vient de vous faire part de son diagnostic. C’est le choc, qui sera rapidement suivi du déni. Chez moi, cette phase a duré plusieurs années. La phase du « Moi? Avoir un handicap ? Pas moyen ! »

« Qui, moi ? Sourd ? Malentendant ? Non, non… C’est juste que tu parles pas assez fort, ou qu’il y a trop de bruit, ou que tu mâches tes mots. »

« Moi ? J’écoute la télé plus fort qu’avant ? Mais pas du tout ! J’ai toujours écouté à ce volume. J’aime bien que le son m’enveloppe. »

« Comment ça, tu trouves que je fais répéter ? Tu n’as qu’à mieux me parler ! »

Et autres excuses du même genre. Tant que l’on est coincé dans cette phase, on n’entendra ni les conseils, ni les mises en garde de nos proches, et on pensera que les professionnels sont incompétents ou ont commis une erreur plutôt que de les croire. De plus, le handicap auditif reste invisible, et c’est assez facile de le cacher à grand renfort de bluff et autres techniques de dissimulation. Il est donc plutôt facile de rester longtemps coincé à ce stade. Et puis, un jour, on se rend compte que si, si, il y a un problème. Et on passe à une étape suivante.

  • La colère

La colère est souvent dirigée vers l’injustice de la situation. Cette phase de colère est peut-être proportionnelle à l’âge auquel on reçoit le diagnostic. Plus on est jeune, plus on va être en colère.

« Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? »

Cette colère peut être dirigée vers Dieu, l’Univers, le destin, la fatalité, la vie (appelez cela comme vous voulez) ou vers celui, celle ou ceux que nous tenons pour responsable(s) de la situation. Et c’est vrai, la situation est injuste ! Certaines personnes écoutent de la musique fort tous les jours de leur vie et gardent une audition intacte, alors que moi, qui ai toujours protégé mon audition avec des bouchons d’oreilles dans les situations bruyantes, et qui ai toujours écouté de la musique au minimum (et jamais longtemps d’affilée), je perds l’audition, et je n’y peux rien. Grâce à la colère, j’ai eu l’impression d’entrer dans le vif des émotions et des enjeux du handicap. Pendant l’étape précédente, j’étais restée très indifférente. Et là, tout d’un coup, les choses commençaient à bouger.

  • Le marchandage

La phase de marchandage, pour moi, c’était un peu du déni encore. On se rend compte qu’il faut bien accepter cette perte auditive, on est bien conscient de son impact au quotidien. Oui, mais…

« Bon d’accord, j’entends moins bien, mais si je mets des appareils tout sera comme avant. »

« Oui, j’entends pas bien, mais peut-être qu’en restant positif, ça va s’arranger… »

« Peut-être que j’entends pas bien parce que je suis stressé, et si je fais de la relaxation (du yoga, de la méditation, de la sophrologie, etc…), ça va aller mieux… »

Cette phase est remplie de déceptions, à chaque fois qu’un espoir retombe.

  • La dépression

Là, on arrive au coeur du deuil. On arrive à la tristesse. Et cette tristesse peut être assez profonde pour se transformer en un puits de désespoir, qui peut s’éterniser. C’est là que l’on ressent vraiment jusqu’où la perte d’audition nous touche. C’est un moment où on va avoir tendance à s’isoler, parce que « à quoi bon ? » On s’imagine déjà vieillir seul, loin de tous ces gens que l’on ne comprend plus. On s’imagine que personne n’aura le courage ni l’envie de continuer à essayer de communiquer avec nous, et de toute façon on imagine déjà qu’on va devenir complètement sourd, et qu’on devra passer la fin de sa vie dans le silence, dans un monde où aucune musique ni aucun rire de bébé ne viendra nous émouvoir. On pense à la langue des signes, comme ultime recours pour continuer à communiquer, et puis on se rend compte que personne autour de nous ne la parle, et on se sent déjà exclus de son environnement proche.

Cette étape est difficile. C’est un moment où il peut être utile, voire nécessaire d’aller chercher de l’aide. De nombreuses associations proposent un suivi psychologique gratuit (financé par la MDPH en général) pour les sourds et malentendants. En Poitou-Charente, par exemple, il existe une excellente association, Diapasom, qui propose un accompagnement de ce genre, que je ne peux que recommander chaudement. Être écouté sans jugement, régulièrement, et pouvoir partager ses doutes, ses peurs, mais aussi ses petites victoires, c’est vraiment quelque chose de précieux, qui peut aider à avancer vers la dernière étape du processus.

  • L’acceptation

Enfin, on accepte. « Bon, d’accord, je suis malentendant(e). Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ça maintenant ? »

A ce stade-là, j’ai découvert plusieurs choses. D’abord, je me suis rendu compte que je pouvais toujours non seulement écouter de la musique, mais aussi en faire ! Pour la musicienne que je suis, cela a été un immense soulagement. Alors bien sûr, j’ai dû m’adapter. J’ai quasiment arrêté de faire du piano, qui était mon premier instrument et ma base, parce que je n’arrive plus à distinguer les notes aigües les unes des autres. Mais je me suis mise à la basse. Et là, énorme coup de coeur. Et puis, en apprenant à jouer avec d’autres, et à faire attention, à me concentrer davantage sur la musique que je fais, eh bien, j’ai l’impression que j’arrive mieux à entendre la musique.

Ensuite, j’ai découvert qu’en acceptant ma perte d’audition, j’arrivais mieux à l’assumer. Concrètement, cela signifie que j’arrive mieux à en parler aux gens, y compris (et surtout) à ceux que je viens de rencontrer. Et du coup, eh bien, la communication se passe mieux. J’hésite moins à dire que je n’ai pas compris, et à demander aux gens de répéter. Je ne parviens pas à le faire à chaque fois, bien sûr, mais c’est mieux. Et même dans les soirées ou situations bruyantes où j’aurais entièrement abandonné toute velléité de parler à qui que ce soit, le fait d’avoir un ou deux échanges significatifs avec des personnes me permet de me sentir bien. Je sens que j’ai ma place, là. Et qu’en fait, ça ne va pas si mal.

Les trois étapes centrales du processus de deuil, d’après mon expérience, peuvent aussi arriver dans un ordre différent. Une fois le déni passé, on peut tomber dans une tristesse profonde, par exemple, puis sortir de la tristesse pour entrer dans une phase de colère, et terminer par le marchandage. Il est aussi possible que ces phases reviennent de façon aléatoire, au gré de l’évolution du handicap, ou des rappels qu’il est toujours bien là, et bien handicapant. Parce que la différence fondamentale entre la découverte du handicap et le départ ou le décès d’une personne, c’est que, comme le souligne la psychologue Isabelle Ansieau, « contrairement au deuil d’une personne qui disparaît, le handicap lui, ne disparaît jamais. »

Ces étapes reviennent donc périodiquement. La découverte, au cours d’un nouvel audiogramme, que l’on a encore perdu quelques miettes d’audition, peut être le début d’une nouvelle phase de colère, ou de tristesse. Je sais que ces émotions reviendront, même si en ce moment ça va plutôt bien. Je fais simplement tout mon possible pour ne pas m’enfermer trop longtemps dans la colère, la tristesse ou le marchandage, et pour chercher l’aide dont j’ai besoin pour accepter ce qui est, et pour continuer à me construire avec l’audition que j’ai.

Et vous ? Quelle a été votre expérience de ce processus de deuil après l’annonce de votre perte auditive ? Avez-vous eu du mal à finalement accepter la situation ?

Avez-vous été proche d’un malentendant au moment de son diagnostic ? Comment avez-vous vécu les moments suivant la découverte du handicap ?

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas

Il s’agit là d’un aspect de ma perte d’audition qui étonne, surprend, déconcerte et peut même énerver plusieurs personnes, y compris moi-même : je n’entends pas tous les jours pareil.

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La plupart du temps, j’entends « normalement« . Ce « normalement » signifie, pour moi, qu’il vaut mieux qu’il n’y ait pas trop de bruit de fond, que la personne (une personne à la fois, bien sûr) me parle bien en face, avec le visage éclairé et en articulant bien. Si la personne me tourne le dos, si l’eau coule ou l’aspirateur fonctionne, si je suis dans un café bruyant, alors je ne comprends généralement pas le sens de ce qui m’est dit et je fais répéter.

Et puis il y a des jours où je me réveille, et j’entends bien. Enfin, presque bien. Mieux que d’habitude en tout cas. J’entends le début de la musique du réveil, par exemple. Et les premières paroles marmonnées sur l’oreiller avant même d’avoir ouvert les yeux, je les comprends aussi. J’en oublie même de mettre mes appareils quelquefois, et malgré cela je parviens à comprendre des phrases chuchotées, mal prononcées, ou des paroles dites sans me regarder, et ce du premier coup ! C’est comme un petit miracle, à chaque fois. Parfois, j’ai l’impression que si j’allais chez l’ORL pour faire un audiogramme ce jour-là, j’en ressortirais avec une audition quasi-normale. Enfin, n’exagérons rien… Mais en tout cas, la différence par rapport aux jours normaux est assez importante pour étonner mes proches (et moi-même) à chaque fois.

Et puis il y a ces autres jours. Les jours où je n’entends plus rien. C’est l’impression que j’en ai en tout cas. Je mets plusieurs minutes à entendre le réveil, et ensuite tout est du même acabit. Je dois faire répéter chaque phrase 3 ou 4 fois, et j’ai l’impression de me promener dans un brouillard auditif constant qui m’empêche de me concentrer, d’entendre, de comprendre les sons que j’entends, et même de réfléchir. C’est comme si j’évoluais dans un magma sonore qui n’a aucun sens. Il me faut déployer des efforts immenses pour tenter de démêler les sons les uns des autres, et de comprendre ce qui m’est dit. C’est épuisant ! Et par conséquent, j’ai davantage tendance à lâcher prise et à ne plus faire attention aux sons, ce qui crée des situations délicates avec mes proches qui, eux, tentent toujours de communiquer avec moi.

Ces différents types de journées peuvent se succéder rapidement, avec un jour où j’entends bien, suivi immédiatement d’un jour où je ne comprends plus rien. Mais alors, pourquoi ? Je n’ai pas trouvé toutes les réponses à cette question. Mais j’ai observé certains éléments récurrents qui peuvent former une ébauche d’explication, à savoir que ma capacité à entendre varie énormément suivant l’état dans lequel je suis, et ce de plusieurs manières :

  • Mon état physique

Si je suis en parfaite forme physique, j’entends mieux. Sans aucun doute. Je m’en suis rendu compte maintes fois. Si je me suis couchée trop tard, si j’ai un peu bu ou même si j’ai trop mangé (ou mangé trop sucré et trop gras) la veille, mon corps est plus lent, prend plus de temps à bouger, et mon niveau de concentration tombe dans les chaussettes. Et si je n’arrive pas à me concentrer, je n’arrive pas à comprendre ce que j’entends. Mon corps est donc un élément essentiel pour mon audition. Si je suis malade, d’autant plus si j’ai un rhume ou autre virus qui affecte la sphère ORL, si j’ai mal quelque part, si j’ai faim ou si je suis fatiguée, j’entendrai forcément moins bien. Et c’est rassurant ! Parce que cela signifie que si je prends bien soin de moi, je peux directement influencer ma capacité à entendre. Et c’est vrai que les jours où j’ai bien dormi, où je vais courir le matin, et où je mange aussi sainement que possible, il y a plus de chances que j’entende mieux que les jours où ce n’est pas le cas.

  • Mon état émotionnel

Mais le physique n’est pas tout, et il y a d’autres facteurs qui vont aussi affecter mon audition de façon subjective. Mes émotions, par exemple. Si je suis en colère, ou que j’ai une émotion forte, quelle qu’elle soit, alors je n’écoute plus. De même si je suis stressée. Le stress semble bloquer ma capacité à écouter, et donc à entendre, et si quelqu’un me le fait remarquer, il faut que je fasse un effort considérable pour lâcher prise, oublier mon stress et me concentrer sur ce qui se passe, et sur la conversation qui se déroule. Il s’agit là d’un facteur plus difficile à contrôler, dans la mesure où les émotions se produisent souvent en réponse à des événements ou autres déclencheurs. Ce qui reste positif, c’est que même si je suis aux prises avec une émotion forte, il y a toujours un moment où j’arrive à la gérer et à revenir à mon état normal, et à ma capacité habituelle d’audition et d’écoute.

  • Mon état mental

Même si je me sens plutôt bien physiquement et émotionnellement,  il suffit que j’ai quelque chose en tête qui me prenne beaucoup d’espace mental pour ne plus être capable d’entendre convenablement. Un petit exemple pour illustrer ceci : Tous les mois de novembre, je participe au NaNoWriMo, le mois national d’écriture de roman. Il s’agit d’un challenge personnel qui consiste en l’écriture d’un roman de 175 pages environ, soit 50 000 mots, entre le 1er et le 30 novembre. Il va sans dire que, quand on se plonge dans un tel marathon d’écriture, on a tendance à penser, manger, respirer et transpirer roman. Mon espace mental est donc, tous les mois de novembre, bien occupé par les personnages, les intrigues et les rebondissements de l’histoire que je m’emploie à écrire. Et c’est un peu au détriment de mon audition, certains jours. Il y a bien d’autres occasions, au cours de l’année, où mon mental est occupé par quelque chose de façon tellement exclusive que j’en oublie de faire attention aux sons. Il suffit que je réfléchisse à un nouvel article de blog, que je sois penchée sur une traduction particulièrement difficile, ou que je me fasse du souci à propos de quelque chose, et mon attention va se tourner vers l’intérieur. Mais heureusement, il suffit d’un rappel, comme la petite voix flûtée de l’enfant qui répète la même phrase pour la vingtième fois, et qui va finir par me tirer par la manche, pour que je revienne au présent et que j’accorde à ce qui est dit l’attention nécessaire à ma compréhension.

Ainsi, plusieurs facteurs influencent sans aucun doute la compréhension de ce qui m’est dit. Cette fluctuation quotidienne de mon audition est souvent déroutante, mais je ne peux qu’être reconnaissante d’un aspect très positif de cette situation : sans les jours sans, il n’y aurait pas les jours avec, ces jours où je me sens comme habitée par des super-pouvoirs qui me permettent d’entendre ce que je n’entendais pas la veille. Et ces jours-là, où j’ai l’impression d’être portée par l’Univers, où tout me sourit et où j’en oublie complètement que je n’entends pas bien, ces jours-là valent la peine de tout le reste.

Et vous, avez-vous aussi des jours où vous entendez moins bien que d’autres ? Comment gérez-vous cette fluctuation ? Avez-vous trouvé d’autres raisons qui expliquent votre baisse d’audition certains jours ?

Et si vous êtes proche d’une personne malentendante, avez-vous déjà observé cet état de fait ?

Perte d’audition : est-ce possible d’éviter l’isolement ?

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C’est une situation assez courante pour moi. Quelquefois je ne m’en rends même pas compte. Je suis au café avec un groupe d’amis, la conversation est animée, les cafés s’enchaînent, et tout à coup je m’aperçois que cela fait une bonne demi-heure que j’ai décroché de la conversation, et que je suis perdue dans mes pensées. Ma concentration a des limites, et suivre une conversation de groupe me demande énormément d’énergie. Au bout d’un moment, je suis trop fatiguée et je n’arrive plus à faire les efforts nécessaires pour suivre la conversation. La conséquence : l’isolement.

Je suis invitée par un groupe d’amis à aller voir un film au cinéma. Le film n’est pas sous-titré, et le cinéma ne dispose d’aucun dispositif pour les malentendants. Je sais pertinemment que l’expérience sera désagréable pour moi tout autant que la personne à qui je demanderai de me raconter le film au fur et à mesure (et pour les autres qui seront gênés par les chuchotements intempestifs). Je décline l’invitation. La conséquence : l’isolement.

Je fais du yoga, du tai chi ou un autre sport en groupe. A la fin du cours, tout le monde se rassemble et discute autour du prof. Je n’arrive pas à suivre, et je préfère m’éclipser, prétextant devoir rentrer rapidement. Et puis, peut-être qu’au bout du compte, j’arrêterai d’aller aux cours, parce que le rappel de mon handicap sera omniprésent et douloureux. La conséquence : l’isolement.

Je suis dans la rue, en ville, avec ma famille. Mon enfant raconte sa journée d’école, tout en sautillant d’excitation. Il n’est pas assez grand pour avoir le visage au niveau de mes oreilles, loin s’en faut. Ce n’est pas possible pour moi d’entendre ce qu’il dit. Il est même probable que je ne me rende pas compte qu’il est en train de parler, et j’essaie de démarrer une discussion, interrompant ainsi la conversation qui est en train de se produire. Mon conjoint me le fait remarquer, et je ravale mes paroles, avec la honte de ne pas avoir compris ce qui se passait. Je continue donc à avancer, parallèle à la conversation mais sans pouvoir y participer. La conséquence : l’isolement.

Et si j’habite seule, je vais sûrement y réfléchir à deux fois avant d’accepter l’invitation aimable d’un collègue ou d’une voisine à une soirée où il y aura beaucoup de monde et de bruit, et où je sais pertinemment qu’il me sera difficile de communiquer. La conséquence : l’isolement.

Helen Keller, écrivaine américaine sourde et aveugle, l’a exprimé en disant :

«  La cécité me sépare des choses, la surdité me sépare des personnes. » 

En tant que personne malentendante, je me sens souvent séparée des autres, comme si un mur invisible nous empêchait de communiquer. Plusieurs études le confirment aussi. D’après une étude qualitative de l’Inpes sur les liens entre handicap auditif et santé, les chercheurs ont trouvé que :

«  Le discours des personnes sourdes ou malentendantes communiquant le plus souvent à l’oral est souvent empreint d’une grande souffrance psychologique. […] Pour beaucoup, l’isolement qui découle [des difficultés de communication] est renforcé ou produit par le manque d’accessibilité de l’environnement. »

Et une étude effectuée par la fondation Hear the World montre très clairement que le handicap auditif contribue au mal-être et à la dépression, surtout quand il n’est pas corrigé.

Alors que faire ? Sommes-nous pour autant condamnés, en tant que malentendants, à rester sur le banc de touche de la vie, observant ce qui se passe comme un film muet (ou presque) ? Je ne le pense pas. Voici les quelques astuces que j’ai trouvées pour rompre l’isolement dans la majorité des situations :

  • Se faire appareiller.

L’appareillage, ce n’est pas magique, mais ça aide. Vraiment. La première fois que j’ai discuté des possibilités d’appareillage avec mon audioprothésiste, une bouffée d’espoir m’a submergée. J’étais certaine que ces appareils auditifs de pointe allaient remplacer toutes les fréquences manquantes de mon audition, et me permettre de redevenir entendante. Alors, ça ne s’est pas passé exactement comme ça, mais il faut bien avouer qu’avoir des appareils auditifs, c’est mieux que de ne pas les avoir. Grâce aux appareils, j’entends certaines personnes que je devrais faire répéter autrement. Certaines situations deviennent plus faciles, ou moins fatigantes. Bien sûr, la condition, c’est de les mettre. Le cerveau a besoin de se réhabituer ou de s’habituer au niveau sonore normal, et c’est important de porter les appareils le plus possible.

  • Dire aux gens que l’on entend mal.

J’ai trouvé que plus j’assume mon handicap auditif, plus j’en parle aux gens que je rencontre, et plus c’est facile de ne pas m’isoler. De plus, cela donne lieu à des conversations très intéressantes sur l’audition, le handicap et comment ça marche. Les gens sont intéressés, la plupart du temps ! Pour cela, il vaut mieux en parler de façon très simple, sans donner l’impression que l’on est en train de se plaindre ou d’essayer de susciter la pitié. Une fois que j’ai dit aux gens que je suis malentendante, ils font tout pour m’inclure dans la conversation, et je n’ai plus envie ni besoin de m’isoler.

  • Rappeler aux gens que l’on entend mal.

Mais souvent, les gens oublient. Parce que cela ne se voit pas. Et ils arrêtent de faire attention, et ce serait très tentant pour moi de m’isoler à ce stade-là de la relation. De me dire : « Ah, ils ne font plus d’effort ! Eh bien tant pis ! » et de partir dans mon monde intérieur, séparé des autres par ce mur d’incompréhension. Et je l’ai déjà fait. Mais je me sens mieux si je rappelle aux personnes avec qui je suis que je suis malentendante et que je n’arrive plus à suivre la conversation parce qu’ils parlent trop vite, trop doucement ou trop indistinctement. Et immédiatement, ils s’excusent, et se remettent à faire des efforts.

  • Sortir de la zone de confort.

Pour moi, sortir de ma zone de confort, cela signifie me pousser à faire des choses que j’ai peur de faire parce que je crains que cela se passe mal en raison de mes problèmes d’audition. Par exemple, aller au théâtre. C’est souvent une expérience difficile parce que s’il s’agit d’une pièce basée sur les dialogues, je n’arrive pas à suivre assez bien pour en profiter vraiment. Mais il y a un tas d’autres spectacles desquels je peux profiter même si je n’entends pas tout ! Par exemple, les spectacles de cirque, ou les spectacles basés sur un humour de situation, où même si je ne comprends pas tout ce qui est dit, je passe quand même mon temps à rire. Mais si j’associe le théâtre à une expérience négative, alors je n’y vais plus, et je loupe ces spectacles qui me plaisent. C’est pour ça que, de temps en temps, je me « force » à sortir de ma zone de confort, et j’accepte d’aller à un concert, à un spectacle ou à un événement auquel j’éviterais normalement d’aller. Juste au cas où la magie opère et que cela en vaille la peine. Et c’est souvent le cas…

  • Faire ce que l’on aime.

Il s’agit là d’une astuce qui règle beaucoup de problèmes, et pas seulement celui de l’isolement. C’est une astuce de bien-être général. Quand je fais ce qui me plaît, c’est-à-dire que je passe du temps dans la journée à écrire, à être créative, à travailler sur ce blog ou autres, je me sens mieux. Et quand je me sens mieux, je ne vis pas mes problèmes d’audition de la même façon que lorsque je me sens mal, triste ou déprimée. Quand je fais ce que j’aime, et que je travaille sur des projets qui ont du sens pour moi, j’ai l’impression d’avancer, d’aller quelque part dans ma vie (même si je ne sais pas forcément où je vais pour autant). En conséquence, j’ai davantage de ressources et de résilience pour assumer mon handicap, en parler, le rappeler aux personnes que je côtoie, et ne pas me laisser abattre par les problèmes de communication. Quand je me sens bien, j’ai envie de partager, et j’ai l’énergie qu’il faut pour communiquer malgré les difficultés.

  • S’entourer de personnes réconfortantes.

Là encore, cette astuce est utile dans de nombreuses situations. Même si je me sens déprimée, ou abattue, et que j’ai tendance à m’isoler, mon entourage, s’il est encourageant et positif, va m’aider à passer par-dessus. Les personnes qui nous entourent jouent un rôle important dans notre vie : elles nous soutiennent ou nous découragent, elles nous aident à voir le côté positif des choses ou au contraire vont nous entourer de négativité. C’est pourquoi il est très important de s’entourer des bonnes personnes : celles qui nous soutiendront, sans nous juger, et qui nous écouteront avec empathie, avant de nous aider à passer par dessus les moments de déprime.

  • Ne pas se décourager.

Malgré tout cela, cela m’arrive de m’isoler. Quelquefois, l’isolement est un état que je recherche, comme un instant de répit : dans une soirée bruyante, au bout d’un moment, j’aurai besoin de sortir au calme, pour reposer les oreilles et reprendre des forces avant de pouvoir affronter à nouveau le bruit et le tourbillon des gens. Au milieu d’un mois particulièrement chargé, j’aurai besoin de passer une ou plusieurs soirées à lire un livre. Et puis, quelquefois, je m’isole parce que je n’arrive plus à assumer cette perte d’audition qui me fait perdre le contact avec des aspects de ma vie que j’aimais, comme certains domaines de la vie culturelle, la musique, les amis qui vivent à l’étranger et que je ne peux plus appeler parce que je ne les comprends plus assez bien au téléphone. Et je me terre, je refuse les invitations pendant un certain temps. Ne pas se décourager, pour moi, cela signifie que j’accepte que ces moments font partie de ma vie. Ce ne sont pas les moments les plus glorieux, ni les plus agréables à vivre, mais avec l’aide des astuces ci-dessus, ils finissent par passer, et je peux recommencer à communiquer, et à sortir de l’isolement. Comme le dit le proverbe japonais :

« Le succès c’est tomber sept fois, se relever huit. »

Ce que je veux dire quand je dis que je suis malentendante…

Comment ?

Avant, je n’osais pas le dire. Maintenant, j’ose. C’est même souvent une des premières choses que je dis quand je rencontre quelqu’un. Par contre, comment est-ce reçu, perçu, compris ?

Je me suis rendu compte assez vite que la plupart des gens, quand je dis « Je suis malentendante », n’ont aucune notion de ce que j’entends par là. Qu’est-ce que cela implique, pour eux ? Comment doivent-il ajuster leur façon de communiquer pour que je puisse les comprendre ? Cela reste très flou. Le Bucodes SurdiFrance a créé une brochure sur ce sujet qui est très bien conçue, mais à laquelle tout le monde n’a malheureusement pas encore eu accès. Je vais donc tenter ici d’expliquer plus précisément ce que je veux dire quand je dis que je suis malentendante. Et tout d’abord :

  1. Je n’entends pas bien.
    Cela signifie que, même si je suis appareillée, certaines fréquences ne passent pas aussi bien que d’autres, déformant du même coup vos paroles. À cause de cela, c’est difficile de comprendre ce que vous dites si vous ne faites pas un effort de clarté. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Eh bien tout d’abord que :

  2. Ce n’est pas la peine de hurler.
    Si vous parlez trop fort ou si vous criez, vous aurez tendance à déformer davantage les sons, rendant ainsi la compréhension encore plus difficile pour moi. De plus, le fait d’être en face de quelqu’un qui crie peut me faire paniquer. Et dans ce cas, je risque de me bloquer et de ne plus rien comprendre à ce que vous dites. Parlez donc assez fort pour que je perçoive les sons, bien sûr, mais le plus important, c’est :

  3. Parlez clairement.
    Articulez correctement, sans exagérer les mouvements de votre bouche non plus. Si vous amplifiez votre diction outre mesure, j’aurai plus de mal à lire sur vos lèvres, et je pourrais même avoir l’impression que vous êtes en train de vous moquer de moi. C’est important que vos paroles soient aussi claires et nettes que possible. S’il vous plaît, évitez de parler la bouche pleine, ou de mâcher un chewing-gum en même temps. Et si vous avez une barbe, alors il faudra que vous fassiez encore plus attention de parler très distinctement. Au besoin, parlez plus lentement, surtout si vous avez tendance à parler très vite d’habitude.

  4. Regardez-moi quand vous parlez.
    Je lis aussi sur vos lèvres, et sur vos expressions faciales. Ma compréhension est basée sur un mélange de ce que j’entends et de ce que je vois. Autant dire que si je ne vois pas vos lèvres parce que vous mettez votre main ou votre stylo devant, que vous avez une barbe épaisse ou une moustache longue qui cache tous les mouvements de vos lèvres, ou que vous n’êtes pas en face de moi, il y a de grandes chances que je ne comprenne pas ce que vous dites. Si vous plongez dans votre sac à main tout en me parlant, vous pouvez être sûre que je n’aurai pas compris vos paroles. De même si vous vous tournez pour faire quelque chose derrière moi. Ou que vous me parlez en étant dos à moi. C’est si vous êtes en face de moi ou légèrement de trois quart que je vous comprendrai le mieux.

  5. Évitez d’être à contre-jour.
    Pour les mêmes raisons, si vous êtes à contre-jour, je risque d’être éblouie. Votre visage étant dans l’ombre, je ne pourrai pas voir vos lèvres ni l’expression de votre visage, et je vous comprendrai moins bien. Si c’est le cas, échangez votre place avec la mienne pour que je puisse vous voir correctement, ou tournez-vous légèrement pour que votre visage soit éclairé.

  6. Rapprochez-vous.
    Je sais que ce n’est pas toujours facile, surtout si on ne se connaît pas beaucoup. Nous avons tous tendance à avoir envie de préserver notre bulle d’espace personnel, mais si vous êtes assis sur un canapé à un bout de la pièce et que je suis à l’autre bout, je ne vous entendrai pas. Si je vois que vous êtes en train de me parler, je me rapprocherai automatiquement de vous, en vous faisant répéter ce que vous venez de dire, mais si je ne peux pas me déplacer pour une raison quelconque, alors venez plus près de moi. Et s’il y a du bruit dans la pièce, le rapprochement sera d’autant plus important qu’il est certain que je ne vous comprendrai pas sans cela.

  7. Changez de formulation.
    Si cela fait trois fois que je vous demande de répéter une phrase, alors il est possible que je fasse un blocage sur un mot ou un groupe de sons. Quel que soit le nombre de fois que vous répétez, même si vous parlez clairement, en face de moi et que vous faites attention, il arrive un point où ce n’est plus la peine d’insister. En général, dans ces cas-là, il suffit d’exprimer ce que vous vouliez dire avec d’autres mots, car cela me permettra de passer par dessus mon blocage.

  8. N’oubliez pas.
    Ce point là est plus difficile. Mon problème d’audition ne se voit pas, et ne s’entend pas. C’est donc très probable qu’à un moment donné, vous aurez oublié que je n’entends pas bien (je l’oublie moi-même régulièrement !), et que vous recommencerez à parler vite, doucement, et sans me regarder. Cela arrive à tout le monde. Et c’est aussi mon rôle de vous le rappeler. Mais si, alors que vous avez oublié, je vous dis ou vous montre que je n’ai pas compris ou que je n’arrive pas à suivre, alors essayez de vous rappeler et de faire un effort. Ce n’est pas toujours évident de le dire et d’en parler ouvertement, et encore moins de le répéter. C’est plus facile de me dire qu’en fait ce n’est pas important pour vous, et que votre simple oubli est un comportement délibéré, même si je me doute que ce n’est pas le cas. Si vous faites un effort à chaque fois que vous vous en souvenez, vous me montrerez que c’est important pour vous que je vous comprenne, et que vous faites tout pour cela.

Ce sont là les huit points qui sont les plus importants pour moi. J’essaie d’en parler aux gens que je côtoie, parce que c’est trop facile de m’isoler, de faire comme si et de passer à côté de toutes les conversations si je ne dis rien. C’est aussi très facile de devenir paranoïaque et de penser que les gens ne font pas attention à moi exprès… Pour casser cette tendance, j’en parle, et je le rappelle autant que possible.

Et pour vous, si vous êtes malentendant aussi, y a-t-il des points que j’ai mentionnés qui ne sont pas importants pour vous ? Ou d’autres dont je n’ai pas parlé, qui vous paraissent essentiels ? Comment demandez-vous aux gens de vous parler ? Avez-vous trouvé d’autres astuces qui fonctionnent pour vous ?
Et si vous côtoyez des malentendants, aviez-vous conscience de tous les points ci-dessus ? Avez-vous été dans des situations où d’autres comportements ont été utiles pour communiquer avec vos proches malentendants ?

Perte d’audition : le dire ou pas ?

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Vous êtes chez le boulanger. Vous faites la queue derrière une dizaine de personnes pour vos croissants du dimanche, votre baguette ou autres pâtisseries. Vous êtes un peu perdu dans vos pensées, vous réfléchissez à votre liste de course, à ce qu’il vous reste à faire ou à une situation qui s’est produite plus tôt, lorsque tout à coup quelque chose se produit. La boulangère fait tomber un croissant, un enfant se met à crier, ou une altercation se produit dans la rue, et là, la personne qui est juste devant vous dans la file se tourne vers vous, et vous dit quelque chose en souriant. Bien sûr, vous n’en comprenez pas un mot, et vous demandez donc à la charmante dame au manteau rouge de répéter ce qu’elle vient de dire. Malheureusement, vous ne comprenez toujours pas, et la file avance. Vous espérez que la dame n’a fait que commenter la situation sans vraiment attendre de réponse, et vous faites un petit sourire entendu, avant de vous plonger dans l’étude minutieuse des pâtisseries du jour comme si votre vie en dépendait. Et puis, c’est au tour de la dame, et vous lui souriez quand elle repart avec son pain et son gâteau. Elle répond à votre sourire mais vous gardez un arrière-goût désagréable de ce qui vient de se passer. La communication n’est pas passée, vous avez bluffé et vous n’avez pas été honnête.

Alors doit-on être honnête et parler de sa perte d’audition tout le temps, à tout le monde ? Doit-on se promener avec un T-shirt qui dit : « Je suis malentendant, parlez plus fort (et surtout plus clairement, articulez, regardez-moi en face et ne soyez pas à contre-jour, ne mâchez pas de chewing-gum et s’il vous plaît, s’il vous plaît, ne me parlez pas depuis une autre pièce) » ?

Je ne pense pas. Enfin, vous le pouvez, bien sûr. Mais vous pouvez aussi faire autrement. Chaque situation est différente, et chaque personne est différente. Suivant comment vous vous sentez par rapport à votre perte auditive, vous arriverez plus ou moins facilement à en parler. J’ai rencontré des malentendants qui se présentaient comme étant malentendants ou sourds, et n’avaient aucun problème à parler de leur handicap à n’importe qui. D’autres personnes, en revanche, ont plus de mal à accepter la situation, et à donc en parler. Il peut aussi s’agir d’une différence de personnalité, car certaines personnes hésitent à parler d’elles-mêmes et de leurs problèmes alors que pour d’autres, c’est plus facile. Le risque est que les personnes qui osent moins en parler finissent par s’isoler et se renfermer, faisant de moins en moins d’effort pour chercher une communication qui reste difficile.

D’un autre côté, j’ai remarqué que mon humeur et mon état physique et général influent aussi sur ma capacité à parler de ma perte d’audition et à l’assumer. Si je me sens bien, j’ai moins de mal à dire aux gens, même à ceux que je croise dans un magasin – comme la caissière à qui je viens de faire répéter quatre fois le prix que je dois payer, que je suis malentendante. Après, l’information est plus ou moins bien reçue ou comprise. La plupart des gens ne savent pas ce que signifie être malentendant exactement, ni comment ajuster leur façon de parler en conséquence. Mais en général, ils parlent au moins plus fort et plus clairement, ce qui me permet de comprendre la phrase que je n’avais pas comprise, et c’est bien suffisant. Si je suis fatiguée, préoccupée ou déprimée par contre, c’est plus dur. Je bluffe davantage, je fuis les situations où des inconnus me parlent et j’ai tendance à m’isoler dans les conversations de groupe. Et je ne m’en rends généralement pas compte jusqu’à ce que je sois sortie de l’interaction, et que je m’aperçoive du malaise que je ressens. Il s’agit là d’un cercle vicieux, bien sûr, parce que plus j’ai de mal à en parler, moins la communication se passe bien, plus j’ai l’impression de ne rien comprendre lorsque les gens parlent, et plus je me sens mal.

Alors que faire ? Pour moi, plus j’arrive à dire aux autres que j’entends mal, mieux je me sens. Même si je suis dans un magasin, que je ne reverrai jamais la personne à qui je parle, et que la conversation n’est pas si importante. Si j’arrive à le dire sans que ce soit compliqué pour moi ni pour l’autre, c’est le mieux. Mais il y a, et il y aura encore de nombreuses situations où je n’arriverai pas à en parler, soit parce que je ne suis pas en assez bonne forme pour le faire, soit parce que la situation ne s’y prête pas, et pour tous ces cas-là, eh bien… tant pis. J’espère arriver à assumer mon handicap de mieux en mieux, mais je ne pense pas qu’il me soit vraiment nécessaire d’être parfaite ni de le devenir.

Et vous ? Comment gérez-vous ces situations de communication difficiles avec des inconnus ? Parlez-vous de votre handicap, ou pas ? Trouvez-vous cela difficile d’en parler ? Si vous côtoyez une ou des personnes malentendantes, comment se passe la communication autour de ce handicap ?

Et surtout, comment aimeriez-vous que cela se passe ?