Perte d’audition : les cinq étapes après le diagnostic

Dépression

Vous venez de faire un test auditif, chez l’ORL, lors d’une visite de médecine du travail ou chez un audioprothésiste, et le diagnostic tombe. Votre audition est moins bonne qu’avant. Bien moins bonne, peut-être même. Vous avez peut-être perdu 15%, 30%, ou 50% de votre capacité auditive. Ou plus. On vous conseille peut-être aussi de vous faire appareiller.

A ce moment-là, et même si vous vous y attendiez plus ou moins, la nouvelle vous tombe dessus comme une mousson en pleine saison sèche. Et vous restez là, sous le choc. Votre réaction est en fait tout à fait normale. Il s’agit là de la première étape d’un deuil. Parce que le diagnostic d’une perte d’audition, comme toute perte significative, entame un processus de deuil chez la personne concernée, avec cinq phases que l’on va devoir traverser. Ces cinq phases avaient déjà été mises en évidence par Elisabeth Kübler-Ross en 1969.

  • Le déni

La première phase commence quand vous êtes cloué sur le fauteuil en face du professionnel qui vient de vous faire part de son diagnostic. C’est le choc, qui sera rapidement suivi du déni. Chez moi, cette phase a duré plusieurs années. La phase du « Moi? Avoir un handicap ? Pas moyen ! »

« Qui, moi ? Sourd ? Malentendant ? Non, non… C’est juste que tu parles pas assez fort, ou qu’il y a trop de bruit, ou que tu mâches tes mots. »

« Moi ? J’écoute la télé plus fort qu’avant ? Mais pas du tout ! J’ai toujours écouté à ce volume. J’aime bien que le son m’enveloppe. »

« Comment ça, tu trouves que je fais répéter ? Tu n’as qu’à mieux me parler ! »

Et autres excuses du même genre. Tant que l’on est coincé dans cette phase, on n’entendra ni les conseils, ni les mises en garde de nos proches, et on pensera que les professionnels sont incompétents ou ont commis une erreur plutôt que de les croire. De plus, le handicap auditif reste invisible, et c’est assez facile de le cacher à grand renfort de bluff et autres techniques de dissimulation. Il est donc plutôt facile de rester longtemps coincé à ce stade. Et puis, un jour, on se rend compte que si, si, il y a un problème. Et on passe à une étape suivante.

  • La colère

La colère est souvent dirigée vers l’injustice de la situation. Cette phase de colère est peut-être proportionnelle à l’âge auquel on reçoit le diagnostic. Plus on est jeune, plus on va être en colère.

« Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? »

Cette colère peut être dirigée vers Dieu, l’Univers, le destin, la fatalité, la vie (appelez cela comme vous voulez) ou vers celui, celle ou ceux que nous tenons pour responsable(s) de la situation. Et c’est vrai, la situation est injuste ! Certaines personnes écoutent de la musique fort tous les jours de leur vie et gardent une audition intacte, alors que moi, qui ai toujours protégé mon audition avec des bouchons d’oreilles dans les situations bruyantes, et qui ai toujours écouté de la musique au minimum (et jamais longtemps d’affilée), je perds l’audition, et je n’y peux rien. Grâce à la colère, j’ai eu l’impression d’entrer dans le vif des émotions et des enjeux du handicap. Pendant l’étape précédente, j’étais restée très indifférente. Et là, tout d’un coup, les choses commençaient à bouger.

  • Le marchandage

La phase de marchandage, pour moi, c’était un peu du déni encore. On se rend compte qu’il faut bien accepter cette perte auditive, on est bien conscient de son impact au quotidien. Oui, mais…

« Bon d’accord, j’entends moins bien, mais si je mets des appareils tout sera comme avant. »

« Oui, j’entends pas bien, mais peut-être qu’en restant positif, ça va s’arranger… »

« Peut-être que j’entends pas bien parce que je suis stressé, et si je fais de la relaxation (du yoga, de la méditation, de la sophrologie, etc…), ça va aller mieux… »

Cette phase est remplie de déceptions, à chaque fois qu’un espoir retombe.

  • La dépression

Là, on arrive au coeur du deuil. On arrive à la tristesse. Et cette tristesse peut être assez profonde pour se transformer en un puits de désespoir, qui peut s’éterniser. C’est là que l’on ressent vraiment jusqu’où la perte d’audition nous touche. C’est un moment où on va avoir tendance à s’isoler, parce que « à quoi bon ? » On s’imagine déjà vieillir seul, loin de tous ces gens que l’on ne comprend plus. On s’imagine que personne n’aura le courage ni l’envie de continuer à essayer de communiquer avec nous, et de toute façon on imagine déjà qu’on va devenir complètement sourd, et qu’on devra passer la fin de sa vie dans le silence, dans un monde où aucune musique ni aucun rire de bébé ne viendra nous émouvoir. On pense à la langue des signes, comme ultime recours pour continuer à communiquer, et puis on se rend compte que personne autour de nous ne la parle, et on se sent déjà exclus de son environnement proche.

Cette étape est difficile. C’est un moment où il peut être utile, voire nécessaire d’aller chercher de l’aide. De nombreuses associations proposent un suivi psychologique gratuit (financé par la MDPH en général) pour les sourds et malentendants. En Poitou-Charente, par exemple, il existe une excellente association, Diapasom, qui propose un accompagnement de ce genre, que je ne peux que recommander chaudement. Être écouté sans jugement, régulièrement, et pouvoir partager ses doutes, ses peurs, mais aussi ses petites victoires, c’est vraiment quelque chose de précieux, qui peut aider à avancer vers la dernière étape du processus.

  • L’acceptation

Enfin, on accepte. « Bon, d’accord, je suis malentendant(e). Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ça maintenant ? »

A ce stade-là, j’ai découvert plusieurs choses. D’abord, je me suis rendu compte que je pouvais toujours non seulement écouter de la musique, mais aussi en faire ! Pour la musicienne que je suis, cela a été un immense soulagement. Alors bien sûr, j’ai dû m’adapter. J’ai quasiment arrêté de faire du piano, qui était mon premier instrument et ma base, parce que je n’arrive plus à distinguer les notes aigües les unes des autres. Mais je me suis mise à la basse. Et là, énorme coup de coeur. Et puis, en apprenant à jouer avec d’autres, et à faire attention, à me concentrer davantage sur la musique que je fais, eh bien, j’ai l’impression que j’arrive mieux à entendre la musique.

Ensuite, j’ai découvert qu’en acceptant ma perte d’audition, j’arrivais mieux à l’assumer. Concrètement, cela signifie que j’arrive mieux à en parler aux gens, y compris (et surtout) à ceux que je viens de rencontrer. Et du coup, eh bien, la communication se passe mieux. J’hésite moins à dire que je n’ai pas compris, et à demander aux gens de répéter. Je ne parviens pas à le faire à chaque fois, bien sûr, mais c’est mieux. Et même dans les soirées ou situations bruyantes où j’aurais entièrement abandonné toute velléité de parler à qui que ce soit, le fait d’avoir un ou deux échanges significatifs avec des personnes me permet de me sentir bien. Je sens que j’ai ma place, là. Et qu’en fait, ça ne va pas si mal.

Les trois étapes centrales du processus de deuil, d’après mon expérience, peuvent aussi arriver dans un ordre différent. Une fois le déni passé, on peut tomber dans une tristesse profonde, par exemple, puis sortir de la tristesse pour entrer dans une phase de colère, et terminer par le marchandage. Il est aussi possible que ces phases reviennent de façon aléatoire, au gré de l’évolution du handicap, ou des rappels qu’il est toujours bien là, et bien handicapant. Parce que la différence fondamentale entre la découverte du handicap et le départ ou le décès d’une personne, c’est que, comme le souligne la psychologue Isabelle Ansieau, « contrairement au deuil d’une personne qui disparaît, le handicap lui, ne disparaît jamais. »

Ces étapes reviennent donc périodiquement. La découverte, au cours d’un nouvel audiogramme, que l’on a encore perdu quelques miettes d’audition, peut être le début d’une nouvelle phase de colère, ou de tristesse. Je sais que ces émotions reviendront, même si en ce moment ça va plutôt bien. Je fais simplement tout mon possible pour ne pas m’enfermer trop longtemps dans la colère, la tristesse ou le marchandage, et pour chercher l’aide dont j’ai besoin pour accepter ce qui est, et pour continuer à me construire avec l’audition que j’ai.

Et vous ? Quelle a été votre expérience de ce processus de deuil après l’annonce de votre perte auditive ? Avez-vous eu du mal à finalement accepter la situation ?

Avez-vous été proche d’un malentendant au moment de son diagnostic ? Comment avez-vous vécu les moments suivant la découverte du handicap ?

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2 comments

  1. Bon, l’article n’est pas tout récent, mais je tenais quand même à partager mon expérience : je suis auxiliaire de vie et je travaille notamment pour une dame très âgée qui est devenue presque entièrement sourde au cours de ces 10 dernières années.

    Comme beaucoup de personnes de cet âge, la « nouveauté » la rebute, et elle refuse de s’adapter… elle a donc refusé d’apprendre à communiquer différemment (apprendre la langue des signes (que son entourage se proposait pourtant d’apprendre), ou la lecture labiale).
    Cette dame s’est enfermée dans sa surdité, son entourage communique avec elle exclusivement en écrivant sur des bouts de papier. Vous pouvez aisément imaginer à quel point il est lent et malaisé de lui « dire » quoi que ce soit.
    Les « astuces » qu’on a pu lui proposer pour améliorer son quotidien (utilisation d’écrans et d’un logiciel de dictée pour pouvoir communiquer à une vitesse de parole normale, ou tout simplement l’utilisation d’un clavier pour écrire plus vite) ont été systématiquement rejetées.

    La maison de cette dame est un autre monde. Partout, dans chaque pièce, sont entassées des feuilles, des crayons, des stylos. Des liasses et des liasses de papier (qu’il est interdit de jeter) témoignent de ses « dialogues de sourd ».

    Avec son handicap, elle s’est enfoncée dans un caractère terrible. Elle est très impatiente, on n’écrit jamais suffisamment vite à son goût, et parfois elle est si entêtée qu’elle ne prend même pas le temps de lire l’explication qu’on vient de lui rédiger laborieusement.
    Ses fils et ses aides à domicile (moi et la femme de ménage) sommes désormais habitués à cette drôle de vie. Mais chaque interaction sociale à l’extérieur est une épreuve : les visites chez les médecins, le notaire, les rares amis qui la supportent encore…

    Elle ne supporte pas de voir des personnes se parler entre elles en sa présence, ne supportant pas l’idée de ne pas savoir ce qui se dit (même quand elle n’est pas concernée par la discussion). Encore une fois, il faut écrire, faire des compte-rendus, s’arrêter le temps de lui expliquer.

    Sa surdité la rend malheureuse et frustrée. Elle s’imagine que les gens « parlent dans son dos », lui cachent des choses, lui mentent lorsqu’ils écrivent.
    Pour un mot mal compris, une phrase mal interprétée, un paragraphe lu trop hâtivement (sans attendre la suite de l’explication), elle entre dans des crises de colère.

    Mais il y a aussi les moments comiques.
    Quand elle me dit à haute voix du mal de son fils alors qu’il est juste derrière elle (en train de rouler des yeux)
    Quand elle hurle pour appeler son chat… qui est dans la pièce.
    Quand on peut passer l’aspirateur à dix centimètres d’elle pendant sa sieste, ou faire le ménage en écoutant du métal à fond.
    Quand on utilise un marqueur Velleda pour écrire directement sur le carrelage des murs de la cuisine.
    Quand je tombe sur une note de son fils, écrite à toute vitesse avec le stylo qui a quasiment troué le papier (on sent la nervosité) : « Mais merde, enfin, laisse-moi le temps d’écrire » (les engueulades par écrit, ahaha !)

    Voilà, ce n’est pas un témoignage très réjouissant, mais peut-être sera-t-il quand même intéressant.

    • Excellent, ce témoignage !
      Après, les moments comiques ont l’air d’être plus comiques pour les autres que pour cette dame, il me semble.
      C’est vrai qu’une perte d’audition peut rendre aigri. Et ce n’est pas seulement une question d’âge.
      Pour moi, ce blog, c’est une façon de ne pas m’aigrir. De rester flexible, de m’adapter à chaque nouvelle étape qui se présente à moi.
      J’ai la chance d’être encore assez jeune et d’avoir une bonne résilience.
      Après, si mes témoignages peuvent inspirer et aider les autres, d’autant mieux !
      Mais je sais que certaines personnes ne se laisseront pas toucher et resteront enfermées dans leur surdité.
      C’est triste et douloureux, probablement autant pour elles que pour leur entourage, mais on ne peut pas pousser les gens à changer, ni à accepter de s’ouvrir sur autre chose.
      Merci d’avoir partagé ton expérience !

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